vendredi 1 octobre 2010

LETTRES # 19

Bonjour Roland,

Je me permets de vous proposer cette correspondance sur un sujet qui, à première vue tout du moins, nous oppose presque diamétralement, quant à la teneur des propos tenus en Angleterre par le pape, propos établissant une corrélation entre « athéisme et nazisme » selon ma lecture.

Ce que vous réfutez.

Croyez bien que ma position est inconfortable car je me vois dans l’obligation de soutenir l’interprétation des journalistes, pour lesquels je n’éprouve pourtant pas un incommensurable et fol amour.

Le débat a été entamé sur votre blog, Solko, et j’ai lu les différents commentaires qui y ont été mis. Entre parenthèses, assimiler athéisme et divinisation de l’homme, comme le fait remarquer un de vos lecteurs, me semble tout à fait erroné.

C’est bien mal connaître en même temps l’athéisme et la divinisation. Mais ce commentateur, par ailleurs très fin, a dû être victime, comme nous le sommes à peu près tous, du style forcément lapidaire auquel nous contraint l'espace "commentaires".

L’athéisme est une conviction et une sensibilité de la solitude humaine et de sa dérision : l’humanité n’est pas la fille d’un dieu mais une espèce animale issue d’une évolution d’autres espèces et formes de vie, une espèce animale face à son destin d’espèce et seule responsable de ce destin, ce qui, peut-être, la différencie des autres espèces.

Je reprends donc chez vous la traduction du discours du pape :

« En réfléchissant sur les leçons dramatiques de l'extrémisme athée du XXème siècle, n'oublions jamais combien exclure Dieu, la religion et la vertu de la vie publique, conduit en fin de compte à une vision tronquée de l'homme et de la société, et ainsi à une vision réductrice de la personne et de sa destinée. »

Pourquoi diable ne lisons-nous pas les mêmes choses ? Parce que nous avons, en amont, l’un et l’autre une grille de lecture complètement différente. C’est de cette grille qu’il faudrait parler, Roland.

« En réfléchissant sur l’extrémisme athée »….Faire implicitement l’amalgame « extrémisme athée » et barbarie nazie, ne vous semble t-il pas franchement dégueulasse ?

Et d’ailleurs c’est quoi l’extrémisme athée ?

Est-ce que moi je fais l’amalgame entre l’extrémisme religieux, criminel, et les croyants dispersés dans le monde sous l’égide de tel ou tel dieu ?

Et est-ce qu’on peut définir, si on ne poursuit pas un but précis, le nazisme comme étant d’abord un athéisme ? Est-ce qu’on peut avancer cet athéisme comme un déterminant dans l’acheminement vers le crime et le génocide ?

C’est tout simplement prélever sur la bête le morceau qui arrange le mieux la sauce qu’on se propose de servir.

Le nazisme se définit (très, très brièvement) comme une idéologie raciste et pangermaniste, née de l’humiliation du traité de Versailles, idéologie qui a trouvé son terreau sur un tas de circonstances favorables.

Dire que le nazis se proposaient d’exterminer les juifs parce qu’ils étaient le peuple élu, est une aberration ! L’antisémitisme a d’autres sources beaucoup plus subtiles, que je ne développerai pas ici. Disons que dans le cas de l’Allemagne de 1933, vaincue, en crise, il a été facile de désigner les juifs à la vindicte comme étant les détenteurs de la richesse et les organisateurs de la misère d’un peuple.

En gros.

Que des Nazis aient été athées, soit. Mais juxtaposer les deux dans un même discours relève de la falsification rhétorique. Il y a bien des prêtres pédophiles et des musulmans terroristes, est-ce que moi, qui ne suis pas pape et suis un athée mais pas un matérialiste convaincu, j’irais dire, après le 11 septembre 2001 : « En réfléchissant sur les leçons dramatiques de l'extrémisme religieux du XXIème siècle, n'oublions jamais combien se rapprocher de Dieu, de la religion et de la vertu de la vie publique, conduit en fin de compte à une vision tronquée de l'homme et de la société, et ainsi à « une vision réductrice de la personne et de sa destinée » ?

Non. Jamais. Parce que je suis bien plus respectueux des diverses sensibilités, fussent-elles religieuses, que ce fou-furieux, maître du Vatican.

Et si vraiment, il veut faire une bouillabaisse avec crime et religion ou absence de religion, qu’il commence à comptabiliser les langues arrachées, les pendus et les brûlés vifs au nom de son dieu !

Et puis, il est Allemand, que je sache. Qu’il relise donc dans le texte les inscriptions gravées sur les ceinturons nazis et sur les chars de la Wehrmart : Gott mit Uns.

Ce à quoi Pie XII n’avait pas trouvé grand-chose à redire.

Comment Benoît XVI peut-il englober tant de phénomènes, phénomènes les plus dramatiques de l’histoire du XXème siècle, dans une seule cause du reniement de dieu, lui qui, à Auschwitz même a nié, en 2006, la responsabilité de l’ensemble des nazis et de l’Allemagne en déclarant « que ces atrocités avaient été le fait d’une poignée de criminels » ?

Une poignée athée ? Et les autres alors ?

Et comment une poignée d’athées pourrait-elle mettre le monde à feu et à sang ?

Et puis, quelle vision de l’homme et du monde ! S’il n’a l’épée de Damoclès d’un dieu suspendue sur son cou, l’homme est forcément un criminel !

Mais qu’est-ce que c’est que cette salade ? C’est du très, très, très mauvais Dostoïevski, qu'un seul couplet de Brassens suffit à descendre :

« Je n'ai jamais tué, jamais violé non plus

Y a déjà quelque temps que je ne vole plus

Si l'Eternel existe, en fin de compte, il voit

Qu'je m'conduis guère plus mal que si j'avais la foi ! »

Bien amicalement

Bertrand

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