REMARQUES EN PASSANT
ABECEDAIRE
Par Alain Sagault
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Les sujets sur lesquels nous nous montrons les plus péremptoires sont presque toujours ceux que nous ne possédons pas assez pour mesurer combien nous les connaissons mal.
CHAGRIN
Il faut être vieux pour connaître la douceur d’un chagrin accepté, dépassé et par là rendu presque supportable.
CHAPELET
Si vous voulez voir des larmes dans les yeux du pape, ce qui constitue sans aucun doute un authentique miracle, nul besoin de faire appel à la grâce divine. Suffit que vous ayez figuré pendant quelques années comme plat de résistance au menu d’un prêtre pédophile. Mieux, il y a un bonus, et pas n’importe lequel : si vous avez été violé à de nombreuses reprises par un ecclésiastique en rut qui n’en éprouve aucun remords, vous aurez l’inestimable chance de vous voir remettre en mains propres par le pape un chapelet dûment béni de ses mains.
C’est juste dommage que le pape actuel ait les mains si sales.
CHARITÉ
Si justice il y a, pas besoin de charité. Question d’équilibre autant que de dignité : faire la charité à quelqu’un, ce n’est pas lui rendre justice. L’ingratitude n’est le plus souvent que la juste réponse à l’insulte du don.
CHOIX
Quand j’entends quelqu’un dire : « On n’a pas le choix… », j’entends presque toujours : « Je ne veux pas me donner les moyens de choisir », ou « Je ne veux pas prendre le risque de choisir ».
Nous avons toujours le choix. Y compris de nous suicider. Simplement, nous n’avons pas toujours le courage de choisir. Autant le reconnaître, ce qui nous évite de nous rendre prisonniers imaginaires d’une impossibilité que nous avons nous-même décrétée.
Car le courage peut toujours nous revenir, sur les ailes du désir en particulier.
Mieux vaut s’avouer lâche que se vouloir résigné.
Voir TINA.
CON Choisir d’être con ne devient grave que si l’on oublie que, passé un certain temps, atteint un certain âge, la connerie devient irréversible.
CONFORT
Il est étonnant qu’après cinquante ans de consommation endiablée nous n’ayons pas encore compris que le confort est le pire ennemi de la douceur de vivre.
Mais aussi de l’art, ce que ne comprendront jamais les esprits académiques, fussent-ils « d’avant-garde ». Olivier Céna l’écrit quelque part : « Rien n’est plus éloigné de l’art que le confort. »
CONTINUITÉ
Old Nick, alias Paul-Émile Daurand-Forgues, écrivait en 1843 dans « Petites misères de la vie humaine », délicieux petit florilège de la vie quotidienne à l’époque romantique, merveilleusement illustré par Grandville : « Au rebours du siècle, qui remplace de tous côtés l’homme par la machine, j’ai remplacé la machine par l’homme. »
Rien de nouveau sous le soleil, même si nous pouvons nous flatter qu’en quantité comme en qualité notre siècle fasse beaucoup mieux que le sien.
CORRUPTION
Que les membres du gouvernement actuel soient profondément corrompus est grave. Mais ce qui est à la fois tragique et insupportable, c’est qu’ils le soient si essentiellement qu’ils puissent être sincèrement convaincus de ne l’être pas. Le chef-d’œuvre du libéral-nazisme actuel, c’est son inoxydable bonne conscience, fondée comme toujours sur une inconscience volontaire à côté de laquelle l’autruchisme de l’homme moyen passerait pour une lucidité particulièrement aigue.
Qu’un Ministre du Budget ait pu supposer une seconde qu’il était normal que sa femme soit au service de la plus grosse fortune française suffit à prouver le scandaleux abaissement moral d’une pouvoir qui me rappelle, en plutôt pire, ce qu’était le royaume du Maroc du temps où j’y ai effectué mon service national actif en coopération.
Il est vrai qu’une prise de conscience, même partielle, de leur inimaginable dévoiement acculerait nos pharisiens au suicide politique tout en leur renvoyant d’eux-mêmes une image radicalement insupportable : celle de la réalité de leur indignité.
C’est pourquoi, s’ils sont sincères, les braiements grotesques du premier ministre, hurlant avec les loups qu’il ne faut pas jeter les hommes politiques aux chiens, dénotent une incroyable ingénuité dans le cynisme.
Par respect pour ce qu’il peut avoir d’intelligence parfaitement dissimulée, je veux croire que durant cette mascarade François Fillon riait sous cape.
COUP (être dans le)
J’aime que Godard ait pu dire à Cohn-Bendit : « (…) je ne veux plus être dans le coup. Je l’ai été trop souvent, et à mon détriment. Chardin disait à la fin de sa vie : la peinture est une île dont je me rapproche peu à peu, pour l’instant je la vois très floue. »
Quand on tente de créer, il ne s’agit pas d’être dans le coup, mais de tenter de se rapprocher de ce qu’on cherche.
COUPS D’ÉTAT
Notre mini président s’est fait une spécialité d’une technique qu’il n’a pas inventée, mais qu’il pratique avec une remarquable assiduité, la technique des mini-coups d’état. Pas nouvelle, mais rarement appliquée avec autant de persévérance dans la crapulerie.
Tout y passe, du bouclier fiscal à la réforme des retraites, de la suppression du juge d’instruction au profit d’un parquet esclave du pouvoir à la destruction non seulement de l’école laïque mais des contenus de l’enseignement (suppression des langues anciennes, révision ultralibérale des programmes d’histoire), sans oublier les conflits d’intérêt et la corruption galopante, pour ne citer que les plus récentes atteintes aux valeurs (j’ai déjà donné à deux reprises une liste non exhaustive des mauvais coups portés à la démocratie depuis le début de cette présidence, voir les Remarques en passant n° 15 et 19).
Par petites touches qui constituent autant de scandales au regard de la démocratie, mais restent suffisamment isolées pour n’être pas réellement perçues du plus grand nombre qui d’ailleurs préfère ne rien voir dans toute la mesure du possible, le pouvoir oligarchique actuel, en utilisant le régime en place qui s’y prête admirablement, et tout en prétendant toujours faire l’exact contraire de ce qu’il fait (c’est pour sauver nos retraites qu’on les démolit, etc), vide peu à peu la démocratie de son sens.
Elle n’est plus qu’un masque sous lequel ricane la tête de mort du libéral-nazisme. C’est pourquoi, même si c’est la première urgence, il ne suffira pas de rendre Sarkozy au néant d’où les français n’auraient jamais dû le sortir. Il va falloir tout reconstruire, du contrat social aux institutions, et ce contre une nouvelle féodalité qui, forte des succès inouïs par elle obtenus depuis plus de trente ans, se défendra bec et ongles sans le moindre scrupule.
La marche très avancée vers la dictature absolue des riches, par les incroyables spoliations qu’elle entraîne chaque jour davantage, finit malgré tous les rideaux de fumée par apparaître pour ce qu’elle est : un crime permanent contre l’humanité, et un désastre pour son environnement.
Elle est si avancée qu’elle semble irréversible aux plus exaltés de nos nouveaux seigneurs, d’où leur impudence, cet espèce de « Bas les masques ! » qui constitue la vraie rupture sarkozienne.
Sans nous en rendre vraiment compte, nous vivons depuis des années sous un régime dictatorial soft, qui se durcit à mesure que sa scandaleuse injustice et son effarante inefficacité se révèlent.
Si cela lui paraît nécessaire, nous allons voir apparaître la vérité de ce régime, et son impitoyable violence. Les banlieues, dûment instrumentalisées, pourront être le prétexte d’un passage à la violence ouverte, seul moyen pour l’oligarchie de se maintenir au pouvoir, eu égard aux désastres provoqués par son avidité et son incompétence.
À cette heures, il n’y a plus en France de contrat social. Cet accord implicite qui fonde toute société viable a été dénoncé unilatéralement par les puissants et les riches, et ce dès 1967 avec le discours fondateur de ce personnage particulièrement sinistre qu’était le faussement bonhomme Georges Pompidou.
COURAGE
« Ce qui compte dans le courage, c’est l’acte lui-même, pas ce qu’il permet d’obtenir » écrit fort justement une chercheuse qui s’est longuement penchée sur cette vertu si peu fréquentée aujourd’hui.
CRÉDIBILITÉ
Un auditeur de droite questionne le socialiste Michel Sapin, éminent spécialiste de la langue de bois, comme son nom l’indique. De sa question et des commentaires qui l’accompagnent, il ressort que, pour reprendre ses propres termes, « les socialistes seront crédibles quand », je résume, ils admettront qu’à moins d’être fou à lier on ne peut pas être de gauche, et feront donc la seule politique possible, une politique de droite.
Pour les imbéciles, on n’est crédible que quand on se range à leur avis.
Hélas, peu ou prou, nous sommes tous des imbéciles.
La droite est ce qu’il y a de plus bête au monde. D’où notre difficulté à lui échapper.
Même quand nous nous croyons de gauche.
CREUX
J’ai fini par aimer les angoisses porteuses et les vides féconds, ces temps creux qui finissent par résonner, et sans lesquels nous ne pourrions agir tant seule la terreur qu’ils engendrent en nous peut nous permettre de les dépasser.
CRIME
Le crime contre l’humanité commis tant par le communisme que par le capitalisme, qui ne sont au bout du compte que les deux faces opposées de la même fausse monnaie, c’est d’avoir toujours banni l’humour, la paresse, le rêve, tout ce qui paraît inutile et gratuit et qui fait le vrai prix de la vie, parce que cela seul lui donne sens.
CRITÈRE
D’un type des « éditions » Fixot, si je me souviens bien, cette suggestive définition de ce qu’est un bon livre : « C’est vraiment un très bon bouquin, qui se lit très vite ».
CRITIQUES
Je les accepte d’autant plus facilement que je n’en tiens à peu près jamais compte.
CULTURE
Ce que nous appelons aujourd’hui culture, c’est un ensemble de pratiques beaucoup plus passives que celles qui avaient cours dans les hautes classes de la société par le passé. Je n’ai rien contre la culture de masse, mais elle tend par pesanteur et inertie à la passivité.
Pour les élites du passé l’activité culturelle n’était pas qu’un plaisir, elle faisait partie du bagage nécessaire à la réussite sociale.
CYNISME
Qu’il se dise ou non de gauche, tout cynique est à mes yeux de droite. L’honneur de la gauche, qui est aussi trop souvent son principal défaut, c’est d’être viscéralement idéaliste.
C’est pourquoi tout homme de pouvoir, à supposer qu’il ne soit pas de droite dès ses débuts, finira forcément à droite ; et plus il aura été « de gauche », plus il touchera la droite la plus extrême, qu’il en prenne ou non conscience. Les exemples abondent…
Robespierre est sans doute l’un des très rares hommes de gauche qui aient jamais existé. Pour le meilleur et pour le pire, car la morale n’est pas sans danger, dès lors qu’elle s’institue religion, et que ses prêtres se lancent dans l’Inquisition.
Remarquable.
RépondreSupprimerBelle recrue, en effet !
RépondreSupprimerSplendide et délicieux !!!
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