dimanche 31 octobre 2010

LETTRE # 22

Mon cher Bertrand

Je crois que si nous sommes bien d’accord sur cette notion de transcendance, c’est plutôt sur celle de l’autorité que nous divergeons. Et pour rentrer dans le vif de la réponse, je vous dirai que la survie de notre propre transcendance passe par une autorité collective qui, au moins symboliquement, s’en fait le garant.

Vous et moi n’aurons vécu que quelques années d’une transformation radicale de l’Europe : quelques décennies qui, au lendemain de deux guerres et après le cataclysme de deux fanatismes idéologiques dressés l’un contre l’autre, vit triompher une rupture que certains voudraient définitive d’avec tout ce qui pourrait relier l’individu contemporain à son passé.

Au point que l’amnésie est quasiment totale dans la jeunesse.

Quelques exemples : Une soixantaine d’édifices religieux (églises et surtout couvents) qui existaient à Lyon avant la Révolution ont disparu depuis. Les noms de certains, comme les Jacobins, les Cordeliers, les Feuillants, les Célestins, les Capucins, demeurent à l’état de stations de métros ou de places publiques. Je questionnais l’autre jour des étudiants de BTS avec qui je dois prochainement aller au théâtre des Célestins, s’ils connaissaient l’origine de ce nom. Pas un ne savait. Je leur ai projeté une carte de Lyon au XVIIème siècle, sur laquelle on voit la colline de la Croix-Rousse et la presqu’ile parsemées de ces édifices, et ils n’en revenaient pas. Des gens de vingt ans !

L’année dernière, j’ai fait étudier Le véritable Saint-Genest de Rotrou à une classe de L. Des notions aussi répandues dans la culture littéraire mais aussi musicale, picturale – aussi indispensables pour la comprendre et se l’approprier – que le martyre, le salut, la damnation, l’Esprit-Saint, la descente de la Croix, la virginité de Marie – chez des enfants de classes moyennes : du grec ancien, pire du sanskrit ! L’analyse qui consiste à dire que les jeunes ne lisent pas parce qu’ils ne maîtrisent pas la langue n’est qu’en partie juste ; ils ne lisent pas parce qu’ils ils ne maîtrisent pas le passé culturel de leur pays. Pire, ils ne le comprennent plus, dans tout ce qui précède les fameuses années soixante…

Il m’a fallu une bonne quinzaine d’années pour me rendre compte à quel point un enseignement et une conception des choses basés uniquement sur la synchronie et ayant totalement tourné le dos à la diachronie ont engendré des ignorants en masse. Ce que Georges Steiner a appelé la nouvelle barbarie, ou la barbarie consumériste, si vous voulez. Consternant exemple de cette douce barbarie : une libraire de Mende âgée d’une trentaine d’années – plus trop d’excuses à cet âge, tout de même, quand on est libraire – à qui un de mes amis demandait une œuvre de Péguy –, et qui, cherchant sur l’ordinateur le nom de Peggy, lui assurait qu’elle n’existait pas. Ou un prétendu agrégé de Lettres me disant : « tu lis Péguy, toi ? Mais il est réac ! » Avec un air idiot, je ne vous dis pas. Mais que font les jurys ?

Quel rapport me direz-vous avec le pape et la soupape ?

Il est simple.

Certes la papauté a traversé vingt siècles d’histoire en ayant du sang, beaucoup de sang sur les mains. Qui le conteste ? mais réduire à cela le christianisme est tout simplement grotesque.

Le christianisme a assuré en Occident la renaissance du théâtre dès le moyen âge, y compris du théâtre de marionnettes -si à la mode actuellement- puisque le mot vient de mariole, « petite Marie » (centon de la crèche). Le christianisme est profondément théâtral. Il est même, jusque dans sa liturgie, l’incarnation exacte du génie théâtral en occident. Comme Giono l’a si bien compris dans son Roi sans Divertissement – ou Rotrou dans son Genest.

Le christianisme a inspiré dans tous les Beaux-arts des œuvres qui, avec l’héritage gréco-romain et antique, constituent l’essentiel du patrimoine artistique occidental.

Je vous parlais des édifices religieux détruits à Lyon, mais que dire des hospices civils (l’hôpital de la Charité, dont le consternant Edouard Herriot n’a pas laissé la moindre pierre, ou bien des Hôtel-Dieu de Marseille et de Lyon, tombant avec la bénédiction sans doute maçonnique de Gaudin et Collomb, dans l’escarcelle de la chaine Intercontinental ) dont l’histoire, elle-aussi, est exclusivement religieuse jusqu’au vingtième siècle, et qui témoigne d’à quel point le christianisme a imbibé bien évidemment la vie quotidienne des gens organisés en paroisse, non seulement pour le pire, mais aussi pour le meilleur. Savez-vous que l’église Saint-Bernard, qui, en face de chez moi, est à présent abandonnée et désacralisée, a été demandée à l’archevêque par ces canuts – par ailleurs porteurs de toutes les revendications sociales que vous savez – parce qu’ils ne voulaient pas partager le dimanche l’église des marchands… ? Je vous en envoie une photo, telle que je peux la voir de ma fenêtre.

Je pourrais continuer ainsi longtemps : mon propos est simplement de rappeler l’autorité de la mémoire chrétienne de ce pays. Certes, la synchronie, tant en littérature qu’en histoire permet de faire ce qu’on appelle dorénavant de hautes études. Mais il est bon de rappeler aussi ce que fut le passé dans une perspective purement diachronique si l’on ne veut pas créer de parfaits singes savants. Voyez : il y a des gens qui ne s’offusqueront pas de voir des millionnaires russes, chinois, saoudiens, américains (de moins en moins ?) piétiner en un palais post-moderne la mémoire séculaire des pauvres de l’Hôtel-Dieu, en des duplex aménagés sous le dôme de Soufflot. Moi, ça ne m’offusquera pas, c’est bien pire : ça me navrera. Me peinera. Comme me navrent les campagnes contre le pape menées par les journalistes des medias que liront tous ces gens de peu. Rêvent-ils, un jour, de faire subir le même sort au Vatican ? Une suite papale pour leur voyages de noces, en quelque sorte ! Après tout, leur barbarie n’a plus de frein.

Chacun vit bien sa nécessité (ou sa non nécessité, pour la plupart, j’en ai bien peur) de transcendance comme il l’entend. Je ne suis d’ailleurs pas moi-même, (contrairement à ce que certains lecteurs de cette lettre qui n’auraient lu de moi que ces quelques lignes pourraient croire) ce qu’on appelle un fervent catholique. Mais je refuse aussi d’être un fervent oublieux, parce que j’ai compris qu’il y a un point où la rupture d’avec toutes les traditions cesse d’être féconde pour devenir mortifère.

Ravi de pouvoir échanger avec vous ces quelques lignes. Nous pouvons le faire. Nos successeurs le pourront-ils ? L’un des effets de l’acculturation des masses mise en place depuis quelques décennies sera d’empêcher deux hommes qui s’estiment, de sensibilité proche et de goûts communs, de disputer – au sens propre – d’une divergence comme nous le faisons. Avec leurs quelques huit-cents mots et leur ignorance crasse de tout ce qui n’est pas eux-mêmes, à commencer par ce qui fut, ils perdront toute estime et de l’autre et de soi-même et se foutront sur la gueule. Voilà les temps noirs qu’on nous prépare, vous le savez aussi.

Amicalement

Roland

samedi 30 octobre 2010

LETTRE # 21

Cher Roland,

J’ai mis bien du temps pour répondre à votre dernière lettre, ce dont je vous demande de m’excuser, et, en même temps, je formule la même demande auprès de nos camarades de « Non de non.»

Pris par ailleurs, il est vrai que j’ai été bien absent des colonnes de notre magazine ces dernières semaines. Ça n’est pas bien du tout. Je vais donc m’efforcer d’y être dorénavant plus présent…

Et je ne voudrais surtout pas que l’on pense que ce que vous m’avez dit dans votre lettre du 2 octobre était de nature à me clouer le bec – ceci dit avec humour et désinvolture – sur la question du pape et de la place de la religion dans cette société décervelée qui depuis belle lurette va à vau-l’eau.

Ce que j’ai retenu de votre propos, c’est cette notion de transcendance. Je l’ai retenue parce que je suis parfaitement d’accord avec vous mais n’en fais pas du tout la même approche.

Je crois que, fondamentalement, nous ne sommes pas très différents, en fait : Nous visons les mêmes espaces mais ne sommes pas montés à bord du même train pour les parcourir.

L’homme a besoin de religiosité et non de religion. J’appelle religiosité, cette espèce de sentiment métaphysique, poétique, par-delà les limites de l’être social et du carcan convenable du comportement. Ce sentiment impalpable mais tenace d’un ailleurs et d’un autrement, ce sentiment d’être, en profondeur, un élément inséparable du grand Tout et de participer, intimement, à la valse des étoiles.

Ce sentiment, cette émotion plutôt, est, pour moi en tout cas, comme l’eau retenue prisonnière et en ébullition dans la cocotte minute. Comme la vapeur qui s’en échappe par le petit clapet de sécurité et en sifflant pour libérer la pression de la tourmente.

L’exigence de l’existence et du recul des limites imposées.

Sans ce jet de vapeur, la cocotte explose à la gueule du cuisinier.

Parce que la vie qu’on nous fait vivre est une haute trahison. Depuis la nuit des temps. L’homme est sous pression et, quel que soit son niveau intellectuel et moral, sait bien que ça n’est pas ça, vivre. Il le sait par les tripes. Je me permettrai encore une fois de citer, en substance, les situs : Quand ce qui s’agite dans les tripes parviendra à remonter jusqu’au cerveau, l’organisation sociale du monde aliéné tombera d’elle-même.

Les conditions qui nous sont faites sont les conditions de la conservation de l’espèce, les conditions de sa survie. Loin des exigences ataviques de la vie.

Voilà en gros et peut-être mal dit.

C’est ce que vous appelez peut-être transcendance et c’est précisément tout le génie des religions que d’avoir compris cette émotion, de l’avoir récupérée, canalisée, théorisée, enfermée dans des dogmes et servie comme en étant l’expression la plus accomplie.

Le pape, là-dedans, s’agissant de la religion chrétienne-catholique, n’est que le gardien patenté de cette illusion distribuée en pâture. La soupape de sécurité pour que perdure le grand mensonge initial.

Le pape est une soupape. Parfois un sous-pape.

Il n’est pas d’une importance capitale, en plus. Toute proportion gardée, comme ne sont guère importants les bouffons politiques ou syndicaux, marionnettes désarticulées d’exigences plus occultes, plus larges, plus destructrices et sur lesquelles se fonde l’organisation désastreuse du monde.

Les grands de ce monde ne sont que les premiers valets – au sens hiérarchique du terme et selon l’organisation du travail rural dans la France du 19ème et du début 20ème – d’un mouvement qui les dépasse.

Tordre le coup au mensonge consiste donc, d’abord, à tordre le cou à ces laquais zélés du malheur humain.

En philosophie, comme en religion, comme en politique.

Comme partout et même, et surtout, dans nos propres vies.

Pour la survie de notre propre transcendance.

Bien à vous

Bertrand

vendredi 29 octobre 2010

UTOPIE ET GASTROENTERITE

il y a quelque chose de pourri dans l'air

qui rend cons les commerçants

et tristes sans raison la plupart des gens

.

il y a quelque chose de pourri dans l'air

qui imprime sur les trottoirs certains noctambules

qui ne sont ni médecins ni avocats

.

il y a quelque chose de pourri dans l'air

qui file la chiasse aux chiens des rues aux chiens errants

mais pas au corps enseignant

.

il y a un truc de pourri dans l'air

qui empêche de prélever un peu moins de 4%

sur le cumul des 250 plus grandes fortunes mondiales

et ainsi subvenir aux besoins de base de la population globale

dans les domaines de l'alimentation de la santé et de l'éducation

.

eh ouais

.

eh ouais

Heptanes Fraxion

jeudi 28 octobre 2010

REMARQUES EN PASSANT : E

REMARQUES EN PASSANT

ABECEDAIRE

Par Alain Sagault

°-°

ÉCUME

En matière d’art, notre époque, toute occupée de paraître, prend à peu près systématiquement l’écume pour la vague. Surfant sur la mousse superficielle et volage des idées et des sensations, elle semble incapable de plonger dans le mouvement profond des émotions authentiques. En un retournement catastrophique, l’accessoire est devenu essentiel et l’essentiel accessoire. D’où, entre autres, le dangereux retour des religions, ces lunettes colorées si commodes pour éviter de regarder la vie et la mort en face.

EMBALLEMENT

En France comme partout ailleurs, l’augmentation de la population a été bien trop rapide depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Quand je suis né, nous étions 40 millions de français, soixante ans plus tard nous frôlons les 65 millions d’habitants. Un développement aussi rapide est tout simplement contre nature et devient logiquement de plus en plus ingérable.

ENTREPRISE

L’entreprise, ce monstre froid. Écrasons l’infâme !

Avant qu’elle achève de nous écraser.

ÉQUILIBRE

Pour prendre toute sa force, le romantisme a besoin d’un certain classicisme. Pas d’élan accompli sans rigueur.

ESSENTIEL

Il faut toujours aller à l’essentiel, parce que les détails sont dans l’essentiel et non l’inverse. Si tu as saisi l’essentiel, les détails y sont, et d’autant plus qu’ils restent à leur place.

EUROPE

Jusqu’ici, l’Europe s’est faite sans les peuples, et souvent contre eux. S’étonner qu’elle ne soit pas populaire, c’est du cynisme ou de l’idiotie. L’Europe a droit de cité, pas les européens.

ÉVALUATION

Sous-estimer le passé pour mieux surévaluer le présent, voilà bien le plus sûr moyen d’hypothéquer l’avenir.

Voir PROGRÈS

EXPLORATION

J’ai parfois peur qu’à force de vouloir explorer la vie, à force de chercher ce que « cache » la réalité, nous ayons fini par oublier de la vivre. Quelle que soit notre capacité d’abstraction, la vraie vie est ici et maintenant.

mercredi 27 octobre 2010

PRESSE PUREE : OCTOBRE 2010

PRESSE… PURÉE !

Demandez la dernière édition !

- - -

« L’ancien président américain Jimmy Carter, hospitalisé, va bien. »

Qui a dit que le système de santé américain était lamentable ? Vous en connaissez beaucoup, vous, des pays où l’on hospitalise les gens qui vont bien ?

*

« Trois policiers parisiens attaqués par "une cohorte" de... chats. »

Ils avaient coincé un maquereau juste avant...

*

« Académie française : les Immortels ne pourront plus être élus après 75 ans. »

75 ans, ça fait jeune, pourtant, pour un immortel... Surtout quand on sait qu’aujourd’hui, grâce à l’allongement de la durée de vie, on peut sans problème être ouvrier jusqu’à 67 ans !

*

« Trois mois de prison ferme pour avoir insulté des gendarmes sur Facebook. »

Et quelques lignes plus loin :

« Brice Hortefeux soutient un gendarme mis en examen pour la mort d’un jeune gitan en juillet dernier. »

Ce qu’il y a de bien avec certaines informations, c’est que rien qu’en se télescopant, elles rendent inutile tout commentaire supplémentaire...

*

« Le chanteur de Noir Désir Bertrand Cantat a retrouvé la scène à Bègles. »

Ca va le changer de la « scène » de ménage, certes... mais ça me laisse un goût amer...

*

« Des milliers de manifestants à Belgrade contre la Gay pride. »

Belgrade... En slave, ça se dit Beograd... Et en trou du cul, ça se dit : Rétrograde...

*

« La Confédération paysanne passe à l’action au Sommet de l’élevage. »

Je savais qu’il y avait de l’élevage sur les sommets, mais des sommets sur l’élevage, ça je l’ignorais !

*

« Faut-il se laisser tenter par un Windows Phone ? »

On me reproche souvent de trop me poser de questions... En voilà au moins une que je ne me pose absolument pas !

*

« A Metz, le service de chirurgie cardiaque fermé en urgence. »

Ca fait mal au cœur...

*

« Sarkozy doit-il reculer sur le bouclier fiscal ? »

Un chef gaulois grimpé sur un bouclier... Ca me rappelle quelque chose...

*

« Une retraitée jugée pour avoir violenté une femme portant le niqab. »

Si les femmes n’ont même plus besoin de nous pour se violenter entre elles, qu’est-ce qu’on va devenir, nous autres, pauvres hommes violents !

*

« Fait divers : Une vipère livrée avec le canapé. »

Le vendeur lui avait pourtant garanti qu'avec lui il n'y aurait pas de lézard !

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« L'ex-avocat des victimes de Dutroux condamné pour détention d'images pédophiles. »

On a beau dire, les histoires belges, quand même...

*

« L'armée lance une alerte à la bombe biologique... par erreur. »

Comme quoi, même inconsciemment, ça les démange quand même un peu...

*

« La fellation, responsable d'une vague de cancers ? »

Fumer la pipe en sus serait un facteur aggravant...

*

« Sarkozy et Merkel main dans la main à Deauville. »

Chabadaba, chabadabada...

*

« Lapsus politique. Quand Hortefeux parle d'empreintes "génitales". »

Il a juste confondu avec la partie du corps sur laquelle ses hommes branchent leurs fils électriques lors des interrogatoires. La méthode, dit-on, est bien plus « parlante » que le relevé d'empreintes digitales...

*

« Bébés congelés : le "déni de grossesse" au cœur des débats. »

L'expertise du psychiatre a jeté un froid...

*

« Record d'impopularité pour Nicolas Sarkozy. »

C'est bizarre, comment ça se fait ?

Stéphane Beau

mardi 26 octobre 2010

DYING SONG : JOHN FRUSCIANTE

Comme ça, juste pour le plaisir des oreilles et des yeux...

lundi 25 octobre 2010

LA FEMME UNIDIMENSIONNELLE

Que reste-t-il, aujourd’hui, du féminisme ? C’est la question que nous pose Nina Power, – philosophe anglaise et traductrice d’Alain Badiou –, dans La Femme unidimensionnelle (titre, qui fait explicitement référence à L’Homme unidimensionnel de Marcuse). Sa réponse, qui va sans aucun doute faire grincer quelques dents est : pas grand-chose ! Car, précise-t-elle, « si l’on en croit le portrait type de la féminité, pour une femme d’aujourd’hui le summum de la réussite résiderait dans la possession de coûteux sacs à main, d’un vibromasseur, d’un appartement et d’un mec – sans doute dans cet ordre. ».

Selon elle, en effet, le féminisme n’a pas su tenir ses promesses, à savoir libérer les femmes, œuvrer à leur émancipation. Certes, de nos jours, on peut voir de plus en plus de femmes accéder aux plus hautes fonctions, détenir des pouvoirs majeurs, se hisser à des postes honorifiques desquels elles ont été longtemps tenues écartées. Mais ce ne sont là que des exceptions qui, non seulement ne changent rien au fait qu’une grande majorité de femmes reste dans des positions inférieures dans plein de domaines (économiques, politiques, institutionnels, scientifiques…), mais en plus tendent à imposer une image de la femme qui n’a plus grand-chose à voir avec la logique même du féminisme. Car ces femmes d’exceptions se contentent bien souvent de reproduire le modèle masculin dans ce qu’il a de moins glorieux : bellicisme, exploitation, moralisme (certaines de ces femmes « modèles » étant même parfois de farouches ennemies de l’avortement, de la liberté sexuelle, d’un réel partage des tâches, bref, de parfaites « anti-féministes ».

Pire encore : loin d’avoir généré un rapport plus équilibré et plus humains entre les sexes, le féminisme contemporain a essentiellement servi à aliéner encore plus la femme en la jetant dans le bain du libéralisme et du consumérisme. La femme d’aujourd’hui n’a pas grand chose de plus que son aînée des années cinquante. Ou si, elle est devenue une « travailleuse urbaine en talons hauts, [une] intérimaire flexible, [une] hédoniste qui travaille dur pour dépenser ses revenus en vibromasseurs et en vin », à tel point qu’il devient évident, pour Nina Power que « oui, effectivement, le capitalisme est le meilleur ami des filles. »

Le féminisme, non seulement, n’a pas eu les effets espérés, mais il a même été régulièrement détourné par le système dominant pour justifier des pratiques qui n’ont rien de fondamentalement féministes. La croisade occidentale contre la condition féminine dans les pays islamistes, par exemple, qui a permis à certains pays occidentaux particulièrement rétrogrades sur la question de la sexualité, de l’avortement ou sur l’exploitation professionnelle des femmes, de jouer les redresseurs de tort à moindre frais. Sans parler de toute la mécanique publicitaire qui a réussi à faire en sorte que les femmes « libérées » d’aujourd’hui fument et boivent presque autant que les hommes, qu’elles s’intéressent au foot et achètent des voitures. Même la délinquance féminine tend à rattraper celle des hommes ! Sacré victoire… Un grand pas pour l’égalité… mais un triste recul pour l’humanité !

Le bilan du combat féministe est donc particulièrement inquiétant : la femme n’y a pas gagné grand-chose, si ce n’est le droit d’être soumise comme les hommes au diktat du système libéral qui réduit tout rapport humain à des notions de rentabilité et de performance. Tout ça parce qu’une grande partie des « féministes » a perdu depuis trop longtemps de vue le fait que le véritable ennemi de la femme, ce n’est pas l’homme, mais le système.

La Femme unidimensionnelle tire régulièrement vers le pamphlet, ce qui en rend la lecture particulièrement agréable. Ce qui ne retire toutefois rien au sérieux de son approche qui ouvre la porte à de multiples et passionnantes cogitations (même si on aurait parfois apprécié des réflexions un peu plus développées). Un livre référence, néanmoins, pour toutes celles et tous ceux qui ne s’y retrouvent plus dans les discours stéréotypés qui prédominent encore trop souvent, aujourd’hui sur la question du féminisme.

Stéphane Beau

La Femme unidimensionnelle, Nina Power, Les Prairies ordinaires, 2010

dimanche 24 octobre 2010

UNE INTERSYNDICALE EUROPEENNE ?

La réforme des retraites vient de passer au Parlement comme prévu. Comment aurait-il pu en être autrement, quand on songe que malgré le vote défavorable à l’adoption de la constitution européenne en 2005, le traité de Lisbonne est entré en vigueur en 2009 ? Si une majorité de plus de quinze millions d’électeurs n’est pas parvenue à se faire entendre, comment une minorité de trois millions de manifestants l’aurait-elle pu ? Ce ne sont ni l’intervention des casseurs ni l’autoritarisme de Sarkozy qui sont responsables de cet échec, mais tout simplement le fait de s’être, une fois de plus, trompé d’échelle et de cible.

Je m’interroge, pour ma part, sur les conditions de riposte populaire, voire de révolte, au sein de cet étrange assemblage politique que représente aujourd’hui cette Europe dirigée par une coalition que représente en France le PS et l’UMP (et des partis similaires dans les autres sous-préfectures) Une Europe du chapeau de laquelle ne pourront jamais sortir que des « gouvernements » d’exécutants. Non pas des gouvernements autoritaires, comme Sarkozy voudrait nous le faire croire du sien, mais simplement des gouvernements de sous-traitants.

Ne savions-nous pas tous, en effet, que la réforme des retraites était une commande européenne, parmi d’autres ? A mon sens, d’ailleurs, elle n’est pas la pire quand je vois l’état des écoles ou des hôpitaux publics. Nous savons tous qu’un patronat mondialisé a mis sous tutelle les Etats, en utilisant de surcroît le jeu démocratique qui ne permet plus de poser son cul sur les sièges stratégiques qu’à l’un ou l’une de leur représentant. Comment espérer, dès lors, qu’à un niveau national une solution puisse être envisagée, alors que ledit pays n’a plus de poids ni sur la monnaie qu’il utilise (je n’arrive même plus à dire sa monnaie), ni sur son industrie menacée à tout moment par les délocalisations, ni sur sa culture en passe de devenir un patchwork sans passé, héritage ni tradition, ni, allons jusqu’au point où ça fait très mal, sur sa propre langue, qu’un étudiant bosseur issu de n’importe quelle université du monde utilise mieux que la majorité de ses natifs ? Et que penser des partis qui illusionnent la jeunesse en lui faisant croire que la prise de décision a encore un avenir à cette échelle-là ?

Je ne comprends toujours pas pourquoi, depuis que cette question européenne est sur le tapis, les syndicats des divers pays concernés n’ont pas tenté de surmonter leurs mésalliances et leurs désaccords pour au moins une fois, une seule fois, essayer d’intimider le grand patronat sur des sujets vitaux, en donnant sa chance à l’ébauche d’un accord à propos du commencement d’une lutte commune… Pas une fois ! Il y a de quoi se poser des questions sur la nature des stratégies adoptées – aveuglement, cynisme ou collaboration ?

Je me dis, pour conclure, que si le net devait servir à quelque chose, ce devrait bien être à cela : permettre l’éclosion d’une véritable intersyndicale européenne, plutôt que d’encourager ces défilés nationaux lamentables parce que voués à l’échec, où l’on perd son temps, ses forces et son argent à se compter en ruminant de vieux chants et en maugréant de vieilles colères contre les nantis et les flics. Une intersyndicale européenne ? On m’objectera que c’est une utopie, certes ! Je crois néanmoins qu’en terme d’utopie, mieux vaut se nourrir de celles qui se nourrissent de la probabilité d’un futur, plutôt de que celles qui se gargarisent du passé.

Solko

Tableau de François BOUCHER (Louvre), « Europe se faisant enlever par ZEUS déguisé en taureau ».

samedi 23 octobre 2010

BAISSE LES YEUX

Le 20 octobre 2010, le journal de 20 heures de France 2 a montré les images du blocage de la raffinerie de Donges. Un gréviste s’adressait à un CRS : « Tu fais ton boulot… C’est ta mission… D’accord… Mais au moins baisse les yeux ! » C’est cette scène belle et digne qui m’a inspiré cette chanson.

.

* * *

.

C’est sûr que tu fais ton boulot

Et tu accomplis ta mission

Faut bien faire manger les marmots

Et payer les traites du salon

.

Mais baisse les yeux

Oh Bon Dieu Bon Dieu

Baisse un peu

Les yeux

.

Peut-être que tu n’as pas le choix

Peut-être que tu es un brave type

Peut-être aussi que tu y crois

A ce putain d’ordre public

.

Mais baisse les yeux

Oh Bon Dieu Bon Dieu

Baisse un peu

Les yeux

.

Peut-être qu’on aurait fait de même

Peut-être qu’on n’vaut pas beaucoup mieux

On ne brandit pas l’anathème

C’est si facile d’être vertueux

.

Mais baisse les yeux

Oh Bon Dieu Bon Dieu

Baisse un peu

Les yeux

.

Philippe Ayraud

Photo récupérée ici : http://brest.letelegramme.com/

vendredi 22 octobre 2010

TUER L'AUTEUR ?

A l’occasion de la publication de son premier roman Tuer l’auteur (éditions des joueurs d’astres), Khun San répond à quelques questions.

*

NON DE NON : Bonjour, Khun San. Première question : pourquoi un pseudonyme ? Et pourquoi celui-là ?

KHUN SAN : Quand on y regarde bien c'est un pseudonyme assez neutre, comme certains suffixes japonais qui disent le masculin ou le féminin, l'humain ou l'animal, ici ou là-bas.

Où est l'auteur ? De toutes façons il change avec chaque texte, ou plutôt chaque texte qu'il écrit le déforme, le rature, en palimpseste d'un soi en éternelle transmutation.

Et si on suit Barthes, l'auteur est déjà mort, alors Khun San ou...

NDN : Ton travail d'auteure est encore très discret. Pourtant, tu as déjà publié trois livres : un recueil de poèmes (Intranquilles ailleurs, éd. du Petit véhicule) et deux volumes aux éditions des Joueurs d'astres : un recueil de nouvelles (Et Dieu créa Bangkok) et un roman, tout fraîchement paru : Tuer l'auteur. Quel regard portes-tu sur ce chemin parcouru ?

KS : « C'est savoir joindre à un tempérament de vampire une discrétion d'Anémone », disait Cioran à propos de l'art d'aimer...

Le mot chemin me fait penser à cette nouvelle de Borges qui donne le tournis, « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », où il est question de livre, de labyrinthe, et d'une énigme qui ne se résout même pas avec le temps.

Il y a ces petits grains de folie lucide qui clignotent dans ma tête, et qui toc toc aux tempes, et se révèlent un peu mieux dans des textes courts, il me semble. D'un point de vue formel, j'aimerais être plus libre encore, et sur le fond, plus près de la chute.

NDN : Tuer l'auteur est un ouvrage un peu déroutant, ne trouves-tu pas ? Notamment dans la manière dont sont distribués les chapitres, qui se succèdent rapidement et constituent des petites histoires en eux-mêmes. Quelles sont tes références littéraires ?

KS : L'écriture du fragment, les haïkus, Louis Calaferte, Yoko Ogawa. Sarah Kane, et puis les auteurs à hétéronymes, c'est très séduisant, voire ensorcelant, cette multiplicité du je. Pessoa, le maître en personne, Antoine Volodine, les auteurs post-exotiques, et tous leurs personnages aux noms incroyables, Khrili Gompo, rien que cette sonorité là est déjà un univers.

A la fois dans le lien entre les auteurs et à l'intérieur du livre, je parlerais de conjonctions, de préférence inconstantes, plutôt que de causalité ou linéarité.

Après, les liens restent chaque fois à réinventer.

NDN : Ce que j'aime ce général dans tes écrits, c'est la manière dont tu joues avec tes personnages. Et ici, tu y vas fort ! Il y a un peu un effet tourbillonnant dans ton livre : en tant qu'auteure, tu malmènes sérieusement le héros du récit, lui-même auteur qui, de son côté, écrit un roman dans lequel il bouscule régulièrement ses personnages... Personnages que tu as déjà, pour un certain nombre, mis en scène dans d'autres nouvelles. Quel est le sens caché de tout cela ?

KS : Il m'arrive de recycler mes personnages et parfois aussi ceux des autres. (Nora est un « transfuge » de Septentrion).

Tout ce self, du vrai, un peu beaucoup, de faux, ce serait dommage de gâcher ! Finalement je pratique une forme d'écriture écologiquement correcte.

Et puis au fond c'est Nora qui a envoyé une lettre de candidature à l'auteur, et un personnage de cette envergure là ne se refuse pas, je n'y suis donc pas pour grand-chose, sauf peut-être pour lui avoir fourni l'adresse de l'auteur...

Les personnages, contrairement à l'auteur, ne meurent jamais, ce n'est pas une question d'attachement, c'est juste qu'ils flottent ça et là dans l'obscurité résiduelle et de temps à autres ils prennent la forme de mots.

Pour le reste, oui, il paraît que les serial killer ont un défaut d'empathie, et en plus ce serait une histoire de neurones miroir !

NDN : Tes écris sont toujours très marqués par l'exotisme : Bangkok, bien sûr, mais aussi l'Amazonie, le Mexique... Et en même temps, on te sent très attirée par l'immobilité, le voyage intérieur. Quelle voyageuse es-tu ?

KS : Peut-être une voyageuse de l'avant qu'il ne se passe quelque chose.

Quand je vais quelque part j'aime imaginer que je vais y rester toujours, je fais ce que les gens du coin font, ou le plus souvent rien, mais forcément en décalage, alors on pourrait peut-être considérer que c'est ça le voyage, ce décalage là.

Bangkok c'est inénarrable, en tous cas pour moi, c'est comme un fond d'œil qui a été très très éblouissant, alors forcément je l'ai toujours dans mon champ de fiction.

NDN : Et pour finir, acceptes-tu de nous dévoiler quels sont tes projets ?

KS : Je viens de finir une petite Encyclopédie de l'échec sentimental, un recueil de textes courts, A comme « Apocalypse simple », B comme « Brouillard intime », C comme « Ciel clandestin », etc.

Sinon je fais des expériences transmodales, j'écris dans l'écho de la danse, comment on dit corps avec des mots...

jeudi 21 octobre 2010

DE QUOI LA DEMOCRATIE EST-ELLE LE NOM ?

La manière dont Nicolas Sarkozy et ses sbires « gèrent » la grogne actuelle autour de la réforme des retraites me laisse terriblement perplexe. Car depuis le début, la ligne de conduite du Président de la République et de son gouvernement est relativement le même : « la réforme que nous mettons en place est bonne, juste et nécessaire, tant pis si une partie des français ne la comprend pas ». A cela ils rajoutent également, pour justifier leur légitimité que « Nicolas Sarkozy a été élu démocratiquement. Les français ont voté pour lui pour qu’il prenne ses responsabilités, et c’est ce qu’il fait, n’en déplaise à ses opposants ». Sous-entendu, derrière cela : la parole de la rue qui vient remettre en cause le vote des français est donc, d’une certaine manière, « anti-démocratique » et, de ce fait, illégitime. Ce qui explique la fermeté du discours tenu depuis le début par l’État et son gouvernement.

Le plus étonnant (ou effrayant), c’est de constater la tranquillité avec laquelle la grande majorité des médias reprend ces propos, sans jamais pointer du doigt sur ce qu’ils signifient vraiment. Car quel sens a le mot « démocratie » pour Sarkozy et ses hommes de main ? Il a été élu démocratiquement, d’accord, ce qui est quand même la moindre des choses en République, mais ensuite ? Quel sens donne-t-il à ce mandat ? Il a été élu pour appliquer un programme, explique-t-il, et il le fera. Déjà, là, on décèle un raccourci gênant : il effectivement été élu sur la base d’un programme. Un certain nombre de français, pas tous, et loin de là, a marqué son intérêt pour les propositions qu’il faisait, en effet. Ce qui ne veut pas dire que celles et ceux qui appréciaient ce programme le validait à 100% sur tous les points ni qu’ils signaient, en votant pour Sarkozy, un chèque en blanc lui octroyant tous les pouvoirs et leur interdisant par la suite toute réclamation.

D’autant qu’il y a souvent un écart assez important entre le « programme », pétition de principe, et les actes posés… Tout ce que Nicolas Sarkozy a mis en branle sur la question des Roms était-il posé dans son programme ? Pas en ces termes, en tout cas… Et sur les retraites ? Le programme du candidat Sarkozy portait plutôt sur l’option inverse de ce qu’il met en œuvre aujourd’hui. La crise est passée par là depuis, nous explique-t-il, il a bien fallu prendre des mesures. Pourquoi pas, mais sur quels critères ? La réforme qu’il met en œuvre est indispensable nous répète-t-il sans relâche. Elle doit être votée, que les Français le veuillent ou non. C’est ainsi, et il ne cédera pas. Ah bon ? Et pourquoi ne céderait-il pas ? Qu'est-ce qui l'en empêche ? Sa réforme est elle réellement représentative de ce que veulent les Français ? Pas si sûr, pourtant... Les derniers sondages annoncent que Sarkozy, avec 30% d’opinions favorables et 70% de défavorables, a fait exploser tous les records d’impopularité des Présidents de la République. Le pays est au bord de l’explosion, les rues sont noires de manifestants, et plus de 60% des Français semblent être plus ou moins solidaires des grévistes, mais tout cela ne compte pas. Tous ces braillards là ne comptent pas. Ils ne sont pas « démocratiques » !

Mais qu’est-ce que la démocratie, alors ? N’est-ce pas le pouvoir accordé au peuple de se désigner des représentants ? Et qu’est-ce qu’un représentant ? Un type qui décide tout seul, de sa propre « autorité », de son propre « chef » (les mots ne sont pas anodins) ce qu’il est bon de faire ? Non. Pour moi, ce type là n’est pas un représentant de la démocratie, mais un despote. Même s’il a été élu « démocratiquement », et même si sa politique se dit « éclairée ». Un despote est un dirigeant qui exerce sur son peuple un rapport d’autorité, et qui estime avoir sur lui une position hiérarchique supérieure. C’est un « chef », au même titre que le chef de famille dont l’autorité n’a rien de représentative. C’est un homme de « pouvoir » qui accorde plus d’importance à ce pouvoir qu’il détient, justement, qu’au peuple qu’il est sensé défendre. Et hélas : quand on vit sous le règne d’un despote, la démocratie n’est plus.

Nicolas Sarkozy est persuadé que sa réforme des retraites est indispensable ? Très bien, il en a le droit. Mais son devoir de représentant du peuple, dans un réel souci démocratique, n’est pas d’imposer son point de vue, mais de l’expliquer, de l’exposer et de le proposer. Après, si les Français n’en veulent pas, il n’a aucune légitimité pour légiférer contre l’avis de ceux qu’il représente. La France n'est pas une entreprise dont il a la gestion, mais un pays et surtout un peuple dont il est sensé être le porte-parole. S’il estime qu’en refusant sa proposition les Français commettent une erreur, libre à lui de se retirer dignement. Et si dans vingt ou trente ans tout le monde constate qu’il avait raison et qu’on aurait dû l’écouter, tant pis pour nous : c’est ça la démocratie. Mais un chef qui impose « sa » réforme sans accorder la moindre écoute à son peuple c’est un tyran, un despote, un dictateur, tout ce que l’on voudra, mais ce n’est plus un démocrate, et il n’y a rien d’étonnant à ce que les réactions de ses opposants dérivent vers la violence puisque c’est malheureusement le seul langage que les tyrans comprennent. Et moi, plus que le fond même du débat sur les retraites, c’est cette vérité là qui me heurte de plein fouet, aujourd’hui.

Notre fier Président, c’est évident, ne cédera pas. Il cassera les casseurs s’il le faut, il éparpillera les piquets de grèves, il libérera la France des vilains récalcitrants, il boutera les cégétistes hors des raffineries... Et après ? Après, nous verrons bien, en 2012, comment voteront les Français… Et s’ils réélisent encore un Président du même tonneau que celui que nous avons actuellement, s’ils font encore le choix d’un despote et non d’un représentant, la seule question qui nous restera alors à nous poser sera : méritons-nous réellement la démocratie !

Stéphane Beau

mercredi 20 octobre 2010

FIN DE SIECLE

intelligence artificielle
par la fenêtre du salon
je vois la zone industrielle
plus loin darty et décathlon
.
l’amour a les genoux qui plissent
depuis longtemps nous nous taisons
plus de complots plus de complices
les gens font quoi dans les maisons
.
enfant je détestais décembre
le miel et les robes de chambre
je voudrais n’être maintenant
.
que le jouet du vent qui souffle
je nage un peu dans mes pantoufles
c’est ridicule et fascinant
Gaston Vieujeux

mardi 19 octobre 2010

LES HEROS DE L'ANARCHIE : IVAN CHTCHEGLOV

BILL TEREBENTHINE PRESENTE :

les héros de l’anarchie

11 – Ivan Chtcheglov

*

Ivan Chtcheglov à l'asile psychiatrique envoyé par le_duc_de_trefle.

Illustration : Bill Térébenthine

dimanche 17 octobre 2010

PLACE DU MARCHE NEUF

Il bougonne, sent le tabac froid, humilié du mégot. C’est à peine si vous le voyez. Vous passez à côté, vous l’avez tué.

On est mercredi, il le sait. Place du Marché neuf, il recherche la vie. Il parle dans le vide. Laissez-le parler.

Il est aussi flétri que les fleurs qu’on trouve après le marché et que des vieilles dames au dos rond comme les chats ramassent sans hâte.

Il flaire la vie, il fait si bon dormir pas trop loin d’elle, juste à côté, au cas où elle l’appellerait, on ne sait jamais.

On n’entend plus sa voix dans les maisons, elle ne touche plus les cœurs. Elle vous a frôlé sur le trottoir, demandé du feu. Vous n’avez pu faire autrement que lui en donner.

Il est dans l’ombre de votre vie. Attend les miettes qui en tombent. Vous avez peur de ses mains, de ses yeux qui ne demandent rien.

Vous pensez que ce n’est pas de cette façon qu’on est un homme. Vous n’êtes plus sûr de vous dans ses yeux, vous vous sentez sale dans ses mains.

Vous avez peur qu’il vous demande autre chose.

Il attend que le soir arrive pour croire au lendemain. Que lui avez-vous laissé ? Vous l’avez tué.

Il ne sait plus rire. Il mange furtivement. Il dort furtivement. Il recherche la vie un peu partout, au hasard des rencontres.

Vous ne vous souvenez plus de lui car il n’est pas le seul à avoir ce visage de nuit, cette démarche sombre, ce costume.

Vous lui avez rendu la vie impossible. Vous l’avez tué.

Oh ! ce n’est pas votre faute, encore moins la sienne, mais il a appris silencieusement à fuir, de partout, loin de tout.

Il finit vos restes de vie, il grignote, Place du Marché Neuf, mercredi.

On ne le remarque plus, on s’habitue.

Il parle.

Laissez-le parler.

Vous l’avez tué.

Pascale Arguedas Photo ©Pascale Arguedas