samedi 9 octobre 2010

SARKOZY ET SES DOUBLES

Mais pourquoi Nicolas Sarkozy inspire-t-il à ce point les auteurs de fictions ? C’est la question que je me posais, il y a peu, en lisant un des derniers volumes publié par les éditions du Petit Pavé : oSkar 1er le Bref, de Dominique Fournier. L’ouvrage, éminemment sympathique d'ailleurs, narrant sur le mode rabelaisien l’ascension royale d’un misérable bouffon, est merveilleusement écrit. La langue de Dominique Fournier est truculente (vocable obligé dans ce genre littéraire), l’ensemble est admirablement troussé et se lit avec autant de plaisir que de facilité. Mais pourquoi avoir choisi pour modèle de héros notre désespérant président ? Ce n’est pas banal comme choix.

D’autant moins banal que le principe en a déjà chatouillé plus d’un ces derniers temps. Je pense à Pierre Maraval, dont Le Président est mort a été un des succès de l’été, à Je suis partout, les derniers jours de Nicolas Sarkozy de Jean-Jacques Reboux. Sans parler des feuilletonesques Chroniques du règne de Nicolas 1er de Patrick Rambaud. J’ai même ouï dire que la prise de pouvoir de notre cher président allait bientôt être adaptée au cinéma !

Alors quoi ? Comment expliquer ce besoin de ramener au rang de fiction ce qui relève d’une réalité : à savoir que Nicolas Sarkozy est bien notre président, et qu’il a bien été élu démocratiquement… N’y a-t-il pas assez vraies critiques à adresser au véritable Sarkozy ? Pourquoi gaspiller du temps et de l’énergie à multipliers des doubles fictionnels ?

D’autant que cette transmutation de notre président en personnage de roman ou de cinéma, transmutation qui est la plupart du temps faite dans un esprit critique, voire contestataire, manque, à mon sens, le plus souvent sa cible. Car un « personnage », même le plus vil et le plus détestable, recèle toujours un fond de sympathie qui le rend attachant. Par principe, le roman ou la comédie ne reposent pas sur des argumentations rationnelles et objectives, mais bien sur des émotions, des ressentis, des sensations… Un personnage nous touche, nous émeut, nous agace, nous révolte, mais quelle que soit la nature de nos sentiments, la logique veut que l’on se laisse emporter par lui, sans réellement lui opposer de résistance. Car nous savons bien, en tant que lecteur ou spectateur, que dans un livre ou dans un film, même le pire salaud a sa raison d’être dans l’équilibre général de l'oeuvre.

C’est pour cela que je reste quand même extrêmement dubitatif quant à la valeur critique de ces fictions. Car Nicolas Sarkozy n’est pas un « personnage » et sa raison d’être dans l’équilibre général de notre pays et de ses habitants est parfaitement discutable. Et que plus on valorise le « personnage », moins on est ensuite en force pour condamner les actions de l’homme politique réel.

Néanmoins, je crois que je comprends assez bien cette tendance à vouloir faire de Nicolas Sarkozy un personnage de fiction. Car force est d’admettre que quand on le regarde et quand on l’écoute, on a presque besoin de se pincer pour admettre que ce type ait pu parvenir à grimper au plus haut échelon de la République. Comment un homme comme lui, petit, au physique ingrat, bourré de tiques, hargneux, irrespectueux, vulgaire, manipulateur, mégalomane, hypocrite, vénal, j’en passe et des meilleurs, a-t-il pu réussir à en arriver où il est : président de la République, plein aux as, copain avec tout ce que le MEDEF et le CAC40 comptent de membres les plus influents, marié avec une top-modèle, capable d’aller chiper aux partis adverses quelques uns de leurs plus éminents lieutenants… Difficile d’admettre, en effet, une telle réalité. Et l’idée de s’en approcher par le biais de la fiction est, bien entendu, tentante.

Pourtant, attention : Nicolas Sarkozy n’est pas une fiction. Ce qu’il fait subir aux Roms et aux tziganes aujourd’hui, par exemple, n’a rien de romanesque. Nous sommes confrontés à un pouvoir qui, par ses actes et par sa philosophie (Travail, Famille, Patrie) n’a jamais autant ressemblé au régime de Vichy. Il est dorénavant grand temps de redescendre des hauteurs émues de notre sidération et de revenir d’urgence dans le réel. L’heure n’est plus aux romans, aux comédies et aux caricatures, mais bien à la condamnation de l’homme réel et de sa politique.

Stéphane Beau

6 commentaires:

  1. Et si cette prolifération venait tout simplement du fait que certains auteurs pensent que c'est porteur sur le plan économique ?
    L'anti-sarkozisme est une valeur aussi sûre que le sarkozysme, une certaine presse l'a bien compris. Il est à espérer qu'une certaine gauche tout aussi désespérante que la droite n'espère pas revenir aux affaires sur ce seul credo.
    Pour ma part, je trouve les deux, sarkozisme et anti sarkozisme aussi consternants, tout autant populistes. Et c'est bien ça le vrai problème.

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  2. Tu as raison et c'est bien ça qui est désespérant. Car comment continuer à dénoncer l'inacceptable quand cette dénonciation tombe elle-même directement dans un jeu déjà joué d'avance de com et de business...

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  3. Quelque-soient vos idées politiques ou autres, j'ai aimé l'intelligence de ce texte même si je m'amuse, personnellement et bêtement, à verser dans l'anti-sarkozysme le plus primaire.

    Cordialement,

    Une ménage air qui libre bulle

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  4. Je reconnais que cela me procure quelques jouissances simplettes et égoïstes...

    librellule

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  5. Que j'aime toutefois à partager...

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  6. Je verse aussi facilement et souvent dans l'antisarkozisme primaire... Mais parfois j'essaye de prendre un peu de recul parce que je suis persuadé que notre président est quelqu'un de dangereux et qu'il faut prendre ce danger au sérieux.

    Sarkozy n'est pas un personnage. par contre, c'est un homme qui joue des rôles, qui "se" joue des rôles. Et parmi ces rôles qu'il aime jouer, il y a celui de l'homme, du dur, du vrai, qui n'a pas peur du conflit et qui sait mettre ses adversaires au pas. La manière dont il jette de l'huile sur le feu actuellement, dans le conflit autour des retraites me laisse perplexe. Je pense que c'est quelqu'un qui peut très bien laisser volontairement la situation exploser (plus d'essence, problèmes d'approvisionnement etc...) rien que pour le plaisir de pouvoir décréter un état d'urgnece et de mettre en place une répression destinée à sauver la France des éléments perturbateurs...

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