samedi 30 octobre 2010

LETTRE # 21

Cher Roland,

J’ai mis bien du temps pour répondre à votre dernière lettre, ce dont je vous demande de m’excuser, et, en même temps, je formule la même demande auprès de nos camarades de « Non de non.»

Pris par ailleurs, il est vrai que j’ai été bien absent des colonnes de notre magazine ces dernières semaines. Ça n’est pas bien du tout. Je vais donc m’efforcer d’y être dorénavant plus présent…

Et je ne voudrais surtout pas que l’on pense que ce que vous m’avez dit dans votre lettre du 2 octobre était de nature à me clouer le bec – ceci dit avec humour et désinvolture – sur la question du pape et de la place de la religion dans cette société décervelée qui depuis belle lurette va à vau-l’eau.

Ce que j’ai retenu de votre propos, c’est cette notion de transcendance. Je l’ai retenue parce que je suis parfaitement d’accord avec vous mais n’en fais pas du tout la même approche.

Je crois que, fondamentalement, nous ne sommes pas très différents, en fait : Nous visons les mêmes espaces mais ne sommes pas montés à bord du même train pour les parcourir.

L’homme a besoin de religiosité et non de religion. J’appelle religiosité, cette espèce de sentiment métaphysique, poétique, par-delà les limites de l’être social et du carcan convenable du comportement. Ce sentiment impalpable mais tenace d’un ailleurs et d’un autrement, ce sentiment d’être, en profondeur, un élément inséparable du grand Tout et de participer, intimement, à la valse des étoiles.

Ce sentiment, cette émotion plutôt, est, pour moi en tout cas, comme l’eau retenue prisonnière et en ébullition dans la cocotte minute. Comme la vapeur qui s’en échappe par le petit clapet de sécurité et en sifflant pour libérer la pression de la tourmente.

L’exigence de l’existence et du recul des limites imposées.

Sans ce jet de vapeur, la cocotte explose à la gueule du cuisinier.

Parce que la vie qu’on nous fait vivre est une haute trahison. Depuis la nuit des temps. L’homme est sous pression et, quel que soit son niveau intellectuel et moral, sait bien que ça n’est pas ça, vivre. Il le sait par les tripes. Je me permettrai encore une fois de citer, en substance, les situs : Quand ce qui s’agite dans les tripes parviendra à remonter jusqu’au cerveau, l’organisation sociale du monde aliéné tombera d’elle-même.

Les conditions qui nous sont faites sont les conditions de la conservation de l’espèce, les conditions de sa survie. Loin des exigences ataviques de la vie.

Voilà en gros et peut-être mal dit.

C’est ce que vous appelez peut-être transcendance et c’est précisément tout le génie des religions que d’avoir compris cette émotion, de l’avoir récupérée, canalisée, théorisée, enfermée dans des dogmes et servie comme en étant l’expression la plus accomplie.

Le pape, là-dedans, s’agissant de la religion chrétienne-catholique, n’est que le gardien patenté de cette illusion distribuée en pâture. La soupape de sécurité pour que perdure le grand mensonge initial.

Le pape est une soupape. Parfois un sous-pape.

Il n’est pas d’une importance capitale, en plus. Toute proportion gardée, comme ne sont guère importants les bouffons politiques ou syndicaux, marionnettes désarticulées d’exigences plus occultes, plus larges, plus destructrices et sur lesquelles se fonde l’organisation désastreuse du monde.

Les grands de ce monde ne sont que les premiers valets – au sens hiérarchique du terme et selon l’organisation du travail rural dans la France du 19ème et du début 20ème – d’un mouvement qui les dépasse.

Tordre le coup au mensonge consiste donc, d’abord, à tordre le cou à ces laquais zélés du malheur humain.

En philosophie, comme en religion, comme en politique.

Comme partout et même, et surtout, dans nos propres vies.

Pour la survie de notre propre transcendance.

Bien à vous

Bertrand

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