mercredi 13 octobre 2010

NUITS ET JOURS

La peau rouge du rêve. Je me suis longtemps demandé d’où le romancier tenait cette sorte de sixième sens, en apparence inutile et parfois fort douloureux, un sens aussi nécessaire et habitué que les cinq autres, et qui contraint celui qui en est atteint à s’incarner dans un double, un autre soi-même, dès lors qu’il se met en tête d’écrire, ne serait-ce qu’une recette de cuisine ou la réflexion la plus prosaïque ; alter ego qui peut prendre n’importe quelle forme, de l’homme à l’insecte, suivant l’ensemble et le détail du spectre animal, selon sa motricité comme sa sociabilité, jusqu’au végétal, jusqu’au minéral, par la musique, le rythme, la couleur, de sorte que le romancier le plus timoré pourrait sans prétention exagérée présenter comme un auto-portrait la simple description d’une page blanche. Moi-même handicapé de manière chronique par ce sens de trop, il m’a sensiblement rassuré (et sans doute valorisé) de relier ce phénomène « sans cause extérieure » au fameux dérèglement des sens invoqué par Rimbaud1. Mais cette explication m’est demeurée obscure et oiseuse, jusqu’au jour où il m’a été donné de lire des romanciers indiens d’Amérique du nord (James Welch, Louis Owens, plus particulièrement), auteurs de tout premier ordre et pratiquant la fiction de la manière la plus détachée qui fût, comme si le roman eût coïncidé avec un mode de vie perdu, détruit, et le romanesque avec le récit de soi-même. Car il y a chez eux et chez les leurs un rapport très particulier au rêve, dont on peut tirer quelque sagesse. Pour eux, non seulement rêve et réalité ne sont pas faits d’une étoffe différente, mais ils se doublent précisément suivant des superpositions, des intrications et des dévoilements de réalités-signes, fulgurants et figurés, astringents, récurrents, dans une sorte d’ « entre-deux-mondes » où l’animal parle, tout comme les astres ou les saisons interviennent en personne. Interpréter de tels rêves, de tels rêves éveillés, ou de tels éveils rêvés, signifie moins les comprendre que d’apprendre à les lire, à les suivre, sous peine de perdre son âme, ou plutôt de ne jamais la trouver, et d’errer ici bas, sans identité2. Un excès de vanité ou une soif aveuglante de gloire, d’honneur ou de possessions, peut suffire à fausser l’évidence du rêve et envoyer l’être humain sur de fausses pistes, dont il ne reviendra plus jamais.

On trouve bien dans notre philosophie cette même idée d’une identité de nature entre rêve et réalité. Arthur Schopenhauer, pour ne citer qu’une image parente3, compare l’existence à un livre dont on tournerait au hasard, en rêve, les pages connues et inconnues que l’on feuillette à l’état de veille selon une reconnaissance chronologique. Mais les romanciers amérindiens inversent radicalement la donne : à les lire, c’est plutôt à l’état de veille qu’on tournerait au hasard les pages de l’existence, à l’aveugle, avec plus ou moins de bonheur et de courage; tandis qu’en rêve elles reprennent leur sens, suivant une logique d’apparence absurde, mais précisément libérées de la chronologie de diversions, de leurres et d’attendus, en dehors de laquelle on ne saurait supporter l’existence à l’état de veille, la supporter en conscience, en toute connaissance de cause.

Si j’avais su… J’aurais davantage exploré le rêve quand je l’avais encore à ma main, - exactement comme un auteur prend et perd pied dans sa fiction - , quand j’étais toujours à même de m’en souvenir sous toutes ses coutures et de le reprendre précisément là où je l’avais interrompu le matin précédent. J’aurais ainsi davantage senti et goûté le temps s’écouler, et j’aurais également suspendu une bonne part de celui qu’il m’a pris, par la suite - et qu’il me prend encore - pour m’éveiller à la vie. Certains conçoivent de l’ennui dans cet écoulement du temps, dans cet écroulement à retardement, seconde après seconde, d’une éternité l’autre. A-t-on pourtant jamais rien déniché de plus voluptueux ni conçu de tâche plus âprement humaine ? D’autres, plus sensuels, définissent d’ailleurs le bonheur à peu près comme les premiers définissent l’ennui, et forts du lot de désillusions dont ils se sont passionnés, ils le reconnaissent comme « un malheur qui s’ignore », comme le chantait Léo Ferré, je crois. C’est correctement raisonné, dans tous les cas, mais c’est déjà raisonner. Or, il ne s’agit jamais que de création, avec laquelle on n’en finit jamais qu’en finissant, un jeu dont il est tout de même fort étrange de se priver, puisqu’il n’en existe pas d’autre susceptible de nous porter comme, si on n’y prend garde, de nous mettre hors de notre portée. Un phénomène relevant sans aucun doute d’un manque sérieux de volonté, mais en rien sorcier, non, et qui se cultive au contraire avec les plus grandes précision et obstination, et ne s’épuise qu’en se renouvelant.

L’encrage et les blancs. Henri Cartier-Bresson racontait que durant une période de pénurie de pellicule argentique, durant la seconde guerre mondiale, il n’en avait pas moins continué à photographier la vie. Il se déclarait d’ailleurs capable de décrire avec précision ces photographies qui ne verraient jamais la lumière du regard extérieur, et dont le développement s’était imprimé, conservé et altéré dans sa mémoire sensible. Ainsi de l’écriture. Au fond, on n’a nullement besoin d’encre pour écrire, et tout auteur, et souvent pour se blanchir, noircit une multitude de pages qui gagneraient à rester blanches. Mais comment savoir lesquelles, s’il n’en reste rien ? Ainsi de la vie, des faits et gestes, des silences, des blancs. Nous sommes comme des photographes ne disposant d’aucune pellicule susceptible de fixer leur regard. Certains mitraillent jusque ne plus rien voir. D’autres préfèrent contempler leur nombril, ce qui est une occupation comme une autre. D’autres encore se contentent de regarder. On ne choisit évidemment pas sa nécessité.

La sensation et ses sens. Toute sensation est une hallucination qui s’ignore. Enlevez la chose, il reste l’image, le son… Il reste ses qualités, son impression. Enlevez l’impression, il reste le mot. Enlevez le mot, il reste la sensation. La sensation est sa propre chose. Les idéalistes l’appellent aussi bien Idée, les matérialistes Matière, les réalistes Réel… Tous les sens lui vont. Elle se passe de représentation humaine, et même de représentation tout court. Elle s’y dérobe et s’en enrobe, indifféremment.

Un chat devant un miroir. Il passe parfois des heures, immobile, à fixer son visage dans le miroir, attendant, dirait-on, que l’autre s’impatiente avant lui et cède à son regard. Rien de tel ne se produit jamais, évidemment, mais quelque chose de bien plus étrange encore : l’autre n’est simplement pas là, et ce chat n’en revient pas.

Le sentiment du déjà vu, une fois pour toutes. On attribue généralement, depuis Bergson, ce phénomène de « fausse reconnaissance », - ou si l’on veut, la certitude subite et parfaitement irrationnelle de revivre intégralement un passé révolu - à un état d’angoisse particulièrement corsé, propice à un dédoublement tel qu’on en conçoive une véritable hallucination de déjà vu, sans que rien d’objectif ne la provoque, et que tout, au contraire, réfute. Mais ne devrait-on pas plutôt attribuer toute angoisse, en général, à la nature hallucinatoire de la conscience humaine, farceuse en diable, pour laquelle rien n’apparaît jamais qu’en disparaissant, pour qui l’immédiateté ne se révèle jamais que par une médiation qu’elle exclut ? (Quand vous courez, pensez un seul instant vraiment, entièrement, pleinement conscient, que vous courez, et il est fort à craindre que vous vous cassiez la gueule dans la foulée…) De sorte que le sentiment du déjà vu serait moins une illusion qu’une désillusion, la chute brutale du but à atteindre, de l’espoir sous ses formes les plus diffuses, la parfaite coïncidence de l’existence avec elle-même, une prise de conscience sans raison ni objet, le simple sentiment de n’être que ça.

L’étrangère. Au lever du soleil, Elinborg, jeune islandaise de Keflavik, rêva d’une première étreinte amoureuse avec le taciturne Erlendur, dont la seule vue, depuis des semaines, la plongeait dans une euphorie incontrôlable.

L’éducation libérale qu’Elinborg avait reçue, la générosité prévenante de son père, comme les tempéraments expansifs de ses frères, ne l’avaient en rien préparée à l’attrait presque morose qu’exerçait sur elle un caractère aussi sombre que celui d’Erlendur, caractère doublé d’un machisme rentré et d’un égoïsme supérieur. Les manières abruptes et le parler à la fois paysan et hautain de ce gars-là l’embrasaient autant qu’ils la désolaient et la maintenaient dans une mauvaise conscience dont elle avait honte. Elle attirait énormément les hommes et feignait parfois de se reprocher de leur céder trop souvent, mais c’était véritablement la première fois qu’elle rencontrait un garçon aussi coincé qu’elle-même, et au rythme où se figeaient leurs rapprochements, elle commençait à se dire qu’il ne pourrait jamais rien se produire entre eux et qu’elle n’avait pas fini de s’en mordre les doigts.

La puissance de leur timidité magnifiait leur rencontre au point d’affadir jusqu’au grotesque les quelques aventures qu’Elinborg avait jusqu’ici tenues pour de véritables dons du ciel. Ils avaient dû, avant d’échanger quelques mots, absorber une quantité extraordinaire du Ouzo que le vieil Angelopoulos importait directement de son Polikastro natal. Ouzo dont ils avaient l’un et l’autre une habitude consommée, ce qui n’accéléra en rien les choses. Entre eux, au contraire, la glace se rompit à n’en plus finir, dans ce mélange de langueur et d’exaltation, propre à l’authentique passion naissante, qui les envoya fort proche du coma et du petit matin, affronter les steppes mouvantes du plumard, avec une agilité, une férocité et une précision qu’ils ne se connaissaient pas, le sang empoisonné par un alcool plus dur encore, plus pur et plus addictif.

En reprenant connaissance, Elinborg ne pouvait totalement se défaire du sentiment de voir Erlendur pour la première fois de son existence. Son trouble était d’autant plus prégnant qu’ils présentaient tous les symptômes de l’amour et se comportaient exactement comme s’ils s’étaient toujours connus, Erlendur y compris, dont les mouvements douloureux, depuis son inconscience alcoolisée et bienheureuse, trahissaient une habitude ironique et désabusée. Il était étendu là, sur les draps défaits, les pieds au soleil, et Elinborg ne parvenait pas, dos à la fenêtre, à se défaire de cette impression qu’elle manquait complètement, irrémédiablement, cette histoire qu’elle n’eût pourtant pu vivre avec davantage d’intensité. En ouvrant la porte-fenêtre de la chambre d’hôtel, Elinborg s’emplit avidement les poumons de la pollution vive et bruyante de cette étroite rue parisienne d’où, sans réelle surprise, quoiqu’un brin émerveillée, elle apercevait scintiller la tour Montparnasse. L’été déclinant, le bleu refusait de quitter le ciel, la façade glacée de l’immeuble de bureaux, en face, éblouissait de soleil. Il n’était pas loin de midi.

On frappa à leur porte pour s’enquérir de leur présence ou au contraire profiter de leur absence pour faire leur chambre, et Elinborg répondit dans un français parfait et légèrement supérieur, depuis les cimes cruelles de son bien-être, qu’ils se donnaient encore une petite heure avant de débarrasser le plancher pour une petite excursion roborative. Erlendur lui-même, dont le passage de la femme d’étage venait d’ouvrir un œil, et qui n’avait jamais quitté son village islandais natal que pour Keflavik, à quelques kilomètres, n’en marmonna pas moins lui aussi dans un français authentique, tâchant simplement de dominer ses expressions ivrognes et ses défauts de langage pour donner aux sentiments qui le traversaient une forme acceptable pour la silhouette nue, et parfumée au sexe, qui venait de quitter les faux jours de la fenêtre. La femme d’étage, à travers la porte, leur souhaita une heureuse journée et tourna les talons pour la chambre suivante.

Tout ce qu’Elinborg et Erlendur virent cet après-midi là, les musées, les alcools qu’ils partagèrent, les architectures dont ils traversaient les ombres, et même le début d’engueulade qu’ils déclenchèrent au coin d’un zinc parisien, tout les rapprocha d’une manière insupportable. Elinborg se montra à plusieurs reprises énervée contre elle-même, déjà consciente qu’elle ne pourrait jamais tenir des promesses d’amour aussi démentielles. Elle était toute à ce savoir, repliée, calfeutrée de tendresse ou au contraire un brin agressive, tandis qu’Erlendur n’en voulait rien savoir, suspendu à quelque détail de la physionomie d’Elinborg, à quelque scintillement duveteux et agaçant dans sa nuque blonde, - comme celui d’un miroir microscopique dont un esprit farceur eût joué, pour la seule distraction d’Erlendur-, ou à l’air perpétuellement ahuri de ses billes bleues d’enfant gâtée, d’enfant aimée de toutes parts, parlant les dialectes et les silences les plus désuets de l’amour, malgré elle et malgré la froideur de sa conscience.

C’était désormais dans un français plus relâché, mi-fainéant mi-argotique, qu’ils devaient se dissimuler à eux-même l’ennui que leur inspirait la vie parisienne, la lassitude hystérique dont débordaient les trottoirs, comme les chuchotements connaisseurs des musées qu’ils avaient visités. Ils finirent par dénicher une brasserie d’où ne plus bouger et où ils produiraient un effort extraordinaire pour s’intéresser à autre chose qu’à leur sexe. Coquin, voyou, crapule, tous les petits noms dont Elinborg perçait les feuilles de choux d’Erlendur avaient un doux parfum de faux reproche, de vraie nostalgie, comme si elle n’eût rien trouvé de plus aphrodisiaque que de lui faire ainsi ses adieux. Il ressentait lui aussi le côté définitif, unique et avorté de leur histoire naissante, mais feignait de comprendre qu’elle lui reprochait gentiment de ne penser à rien d’autre qu’à mélanger leurs sueurs aux fragrances vieillottes du parquet de leur piaule d’hôtel parisienne, ce qu’ils firent bientôt avec violence et humour, dans une sorte de répétition générale de toutes les étreintes qu’ils connaîtraient jamais par la suite, graves et sans limite, chirurgicaux du cœur ou naïfs comme des aveugles, jusque s’effondrer avec bestialité dans le sommeil.

Lorsque Elinborg reprit connaissance, épuisée, radieuse mais cette fois-ci seule, et à présent dans son lit de Keflavik, loin de la pollution grisante des façades parisiennes et tentant de conserver quelques traces, quelques enseignements, de ce rêve âpre et violent, elle se demanda soudain si elle était bien, quelques minutes plus tôt, cette Islandaise rêvant qu’elle était Française, ou si elle n’était pas plutôt, à présent, une Française rêvant qu’elle était Islandaise.4

Stéphane Prat

1 La poésie de Rimbaud est romanesque dans ses grandes largeurs, narrative, fictive, et j’aurais pour ma part une interprétation assez décevante de son silence précoce comme de la fulgurance de sa parole, en avançant l’hypothèse que le poète ne se serait pas exprimé ni tu autrement s’il s’était instantanément pris pour le personnage Rimbaud, s’il avait précisément manqué de clairvoyance et s’était perdu dans ses brumes exaltées. Toute hypothèse de ce genre pêche par le côté forcé de l’explication qu’elle prétend lever, et constitue sans doute déjà comme un « délire d’interprétation ». Je n’y accorde donc pas plus de foi qu’à cette autre qui veut que Rimbaud aurait précisément tout dit. (Un argument fort commode, entre nous soit dit, pour continuer de fermer sa gueule ; certains se comportent ainsi avec Guy Debord, qui lui aussi aurait tout dit, et dont on fait fréquemment une sorte de Rimbaud de la pensée critique) Or la parole comme le silence de Rimbaud tiennent précisément de l’inexplicable. Mais je dois bien faire remarquer que Blaise Cendrars s’est tu, poétiquement, d’une manière tout à fait comparable, mais n’en a pas moins continué à vivre, et notamment à écrire des romans, des récits, en exerçant autrement le sixième sens dont je parle, et qui ne sert à rien, finalement, sinon à exister.
2 Dans le roman de James Welch, intitulé Comme des ombres sur la Terre, (Albin Michel 1994, coll. Terre Indienne) dont l’action se situe fin XIXème au pied des Rocheuses, le personnage principal, un jeune indien Pikuni baptisé « Chien de l’homme blanc », - en raison de sa lâcheté supposée et de la poisse permanente et répétée que constitue son existence- , a toutes les raisons de douter, à l’adolescence, de cette bonne médecine qui lui permettrait de voir en rêve les signes qu’il saurait reconnaître à l’état de veille, ce qui lui donnerait un ascendant sur ses frères d’armes lorsqu’il s’agira de chasser, de survivre ou de mener quelque expédition contre une tribu ennemie. Cette bonne médecine, puissante et sûre, qu’on pourrait aussi bien appeler une bonne lecture de la vie, ou de la simple clairvoyance, plutôt que pouvoir prémonitoire, lui vaudra pourtant un jour, « un bon jour pour mourir », d’être rebaptisé Trompe Le Corbeau, après une expédition punitive contre la tribu éponyme (les sanguinaires Corbeaux). Ce nouveau nom comportera une part de méprise quant à sa ruse réelle face à l’ennemi, tout comme on se méprenait sur sa lâcheté. Mais je trouve qu’il a quelque sagesse à identifier un individu par la seule identité dont il puisse se prévaloir, en le nommant tout simplement tel qu’il se présente au monde. Et je retiens que c’était là par la seule clairvoyance que l’humain gagnait son nom, et qu’il pouvait ainsi changer, voire s’amender, et se rebaptiser lui-même.
Il convient évidemment de reluquer directement dans ce roman, véritable rêve éveillé, l’aspect prémonitoire des visions qui décidaient de la paix et de la guerre indiennes, les différents rituels, comme le dialogue que chacun entretenait avec son animal-gardien (esprit incarné dans un animal familier avec lequel chacun conversait, en rêve, et dont il tirait plus ou moins profit.)
3 Le Monde comme Volonté et comme Représentation - Livre premier : « La vie et les rêves sont les feuillets d’un livre unique. La lecture suivie de ces pages est ce que l’on nomme la vie réelle ; mais quand le temps accoutumé de la lecture (le jour) est passé et qu’est venue l’heure du repos, nous continuons à feuilleter négligemment le livre, l’ouvrant au hasard à tel ou tel endroit et tombant tantôt sur une page déjà lue, tantôt sur une page que nous ne connaissons pas ; mais c’est toujours dans le même livre que nous lisons. »
4 Il est un syndrome, dit « de l’accent étranger », qui fournit de cocasses illustrations à ce phénomène de flottement, d’indétermination de l’identité, très troublant, voire handicapant. Le quotidien Le Ouest France relatait le vendredi 17 septembre 2010, sous le titre de migraine linguistique, l’histoire de Madame Russel, citoyenne anglaise de 49 ans, qui s’était quelques nuits plus tôt endormie avec une forte migraine, et s’était réveillée avec un accent français à couper au couteau, accent très embarrassant (surtout en Angleterre…) et dont elle ne parvenait plus à se défaire. L’histoire ne dit pas ce que Madame Russel a bien pu rêver cette nuit-là… si elle savait également parler le français, ni d’où elle tenait un accent si prononcé, mais on peut gager que sa conscience aussi lui parlait cet anglais impayable, et même supposer qu’elle rêvât également avec ces intonations françaises, ou encore, pourquoi pas, en français. En tout état de cause, la cure de sommeil n’est sans doute pas le traitement indiqué pour ce type de pathologie.

6 commentaires:

  1. Cécile-Marie Hadrien15 octobre 2010 à 13:03

    Un article tout à fait passionnant.
    On pense aussi à l' « inquiétante étrangeté », concept développé par Freud dans un article éponyme. A propos de l'écrivain et ses doubles, il me vient cette réflexion de Duras, que je cite de mémoire : Pourquoi écrire ? Pourquoi cette vie en parallèle, toujours, qui vient redoubler la vie réelle ? Question qui doit sans doute rester entière...

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  2. Ce que j’aime surtout dans les textes de Stéphane, c’est cette liberté qu’ils nous offrent de piocher par-ci par-là, au gré de nos humeurs et de nos goûts, des aphorismes au charme implacable :
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    « D’autres, plus sensuels, définissent d’ailleurs le bonheur à peu près comme les premiers définissent l’ennui »
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    « Tout auteur, et souvent pour se blanchir, noircit une multitude de pages qui gagneraient à rester blanches. »
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    « On ne choisit évidemment pas sa nécessité. »

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  3. Cécile-Marie Hadrien15 octobre 2010 à 13:24

    Oui, et j'aime beaucoup aussi :
    "le romancier le plus timoré pourrait sans prétention exagérée présenter comme un auto-portrait la simple description d’une page blanche".

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  4. et donc? (j'irais bien jusqu'à dire "tout ça pour ça" mais on me taxerait d'agression gratuite si ça se trouve)





    cher stéphane, rimbaud a dit "la poésie est une sottise"; le jour où vous verrez ce que cela signifie - notez bien l'emploi de "voir" et non pas de "comprendre" -, ce jour-là seulement et pas avant, vous comprendrez pourquoi il a cessé d'écrire. remarquez, pour prétendre y arriver à l'occasion, il faudrait commencer par affûter des vers (éventuellement des nouvelles, ceci dit par pure tolérance) et pas ....(mettez le mot qui vous convient à la place des points^^)

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  5. Je mettrais réfléchir, gmc, ça vous pose un problème ?

    Je ne commenterai évidemment pas votre désintérêt pour ce(s) textes. Il est aussi clair que les quelques éloges précédents, et il n’est pas à discuter. La question n’est pas là.

    Mais selon vous, gmc, avant de causer de Rimbaud, il faudrait affûter quelques vers, (dans le genre des vôtres, sans doute, vous qui avez « vu », ou au moins commencé à entrevoir et tenez ferme à le faire savoir, illustrant en cul-bénitier combien « la poésie est une sottise », au fil de vos commentaires ici) ; ou à la rigueur s’être essayé à la nouvelle, (et on sent là encore que vous pouvez vous montrer suffisamment clément avec vous-même pour un jour vous accorder ce début de clairvoyance, si ce n’est déjà fait). Il faudrait ceci, il faudrait cela, il faudrait encore, avant de prétendre à parler. Il faudrait beaucoup, avec vous, gentil gmc, vous êtes une mine de bons conseils, vos insultes sont pleines de tact et votre auto-censure est dévote à souhait.

    Mais je ne tiens pas la nouvelle pour un sous-genre sur lequel il faudrait se rabattre, faute de poésie. Et je ne cherche pas à comprendre pourquoi Rimbaud a cessé d’écrire. Je me contente amplement de l’inexplicable. Ce ne semble pas être votre cas. Votre « Tout ça pour ça ? » que vous vous défendez d’écrire et que vous écrivez quand même, peut en laisser douter. Et il est assez comique de crispation, d’incompréhension. Il trépigne, il tourne pâle, il retient son caca affûté, réservé aux complimentés, les veinards !

    L’idée que Rimbaud « le Voyant » ait pu manqué de clairvoyance, si je n’y attache pas grande importance et ne l’évoque qu’en passant, en préambule, peut outrager certains adeptes, les poètes sont si sensibles ! Je ne suis donc pas franchement étonné par votre suffisance rentrée, généreuse. Seulement, je m’intéressais essentiellement au phénomène du double, du personnage, qui se produit également en poésie, comme dans toute forme d’écriture, mais avec une puissance toute particulière, aveuglante, je trouve, dans la poésie de Rimbaud. (Il y a aussi l’éloge de l’auteur dans l’égratignure de son mythe.) Après, c’est plus la clairvoyance invoquée dans le roman de Welch, (un authentique chef-d’œuvre, mais vous êtes beaucoup trop haut perché pour l’apercevoir), ou celle de Cendrars, qui me questionnaient. Une certaine pratique de la vie, du rêve etc…

    Enfin, s’il vous déplaît tant qu’écrire serve aussi à dire ce qu’on a à dire et comme bon nous semble, pourquoi ne pas prodiguer votre tolérance ailleurs et réserver vos conseils littéraires à ceux qui vous les demanderont ? Si vous n’avez rien de mieux à faire, vous pouvez tout aussi bien dégotter un portrait de Rimbaud et vous torcher avec, histoire d’affûter les vers qui vous démangent.

    Matin, midi et soir.

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  6. mdr, qui a parlé de conseil prodigué? votre interprétation peut-etre...
    quant à lire du roman - activité fort prisée dans un vague lointain -, sachez que je n'ai plus goût pour les activités d'essorage ou de filtrage (quelle différence entre un macallan 18 ans d'âge et un jb noyé dans l'eau de seltz?).
    notez qu'en aucune manière, les quelques mots qui vous ont été adressés ne parlait de votre commentateur.
    néanmoins, peut-etre un jour saurez-vous parler, et donc écrire; ce jour-là, vous regarderez des écrits tels que celui-ci comme un mix-produit issu des précieuses ridicules et des femmes savantes.

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