A l’occasion de la publication de son premier roman Tuer l’auteur (éditions des joueurs d’astres), Khun San répond à quelques questions.
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NON DE NON : Bonjour, Khun San. Première question : pourquoi un pseudonyme ? Et pourquoi celui-là ?
KHUN SAN : Quand on y regarde bien c'est un pseudonyme assez neutre, comme certains suffixes japonais qui disent le masculin ou le féminin, l'humain ou l'animal, ici ou là-bas.
Où est l'auteur ? De toutes façons il change avec chaque texte, ou plutôt chaque texte qu'il écrit le déforme, le rature, en palimpseste d'un soi en éternelle transmutation.
Et si on suit Barthes, l'auteur est déjà mort, alors Khun San ou...
NDN : Ton travail d'auteure est encore très discret. Pourtant, tu as déjà publié trois livres : un recueil de poèmes (Intranquilles ailleurs, éd. du Petit véhicule) et deux volumes aux éditions des Joueurs d'astres : un recueil de nouvelles (Et Dieu créa Bangkok) et un roman, tout fraîchement paru : Tuer l'auteur. Quel regard portes-tu sur ce chemin parcouru ?
KS : « C'est savoir joindre à un tempérament de vampire une discrétion d'Anémone », disait Cioran à propos de l'art d'aimer...
Le mot chemin me fait penser à cette nouvelle de Borges qui donne le tournis, « Le jardin aux sentiers qui bifurquent », où il est question de livre, de labyrinthe, et d'une énigme qui ne se résout même pas avec le temps.
Il y a ces petits grains de folie lucide qui clignotent dans ma tête, et qui toc toc aux tempes, et se révèlent un peu mieux dans des textes courts, il me semble. D'un point de vue formel, j'aimerais être plus libre encore, et sur le fond, plus près de la chute.
NDN : Tuer l'auteur est un ouvrage un peu déroutant, ne trouves-tu pas ? Notamment dans la manière dont sont distribués les chapitres, qui se succèdent rapidement et constituent des petites histoires en eux-mêmes. Quelles sont tes références littéraires ?
KS : L'écriture du fragment, les haïkus, Louis Calaferte, Yoko Ogawa. Sarah Kane, et puis les auteurs à hétéronymes, c'est très séduisant, voire ensorcelant, cette multiplicité du je. Pessoa, le maître en personne, Antoine Volodine, les auteurs post-exotiques, et tous leurs personnages aux noms incroyables, Khrili Gompo, rien que cette sonorité là est déjà un univers.
A la fois dans le lien entre les auteurs et à l'intérieur du livre, je parlerais de conjonctions, de préférence inconstantes, plutôt que de causalité ou linéarité.
Après, les liens restent chaque fois à réinventer.
NDN : Ce que j'aime ce général dans tes écrits, c'est la manière dont tu joues avec tes personnages. Et ici, tu y vas fort ! Il y a un peu un effet tourbillonnant dans ton livre : en tant qu'auteure, tu malmènes sérieusement le héros du récit, lui-même auteur qui, de son côté, écrit un roman dans lequel il bouscule régulièrement ses personnages... Personnages que tu as déjà, pour un certain nombre, mis en scène dans d'autres nouvelles. Quel est le sens caché de tout cela ?
KS : Il m'arrive de recycler mes personnages et parfois aussi ceux des autres. (Nora est un « transfuge » de Septentrion).
Tout ce self, du vrai, un peu beaucoup, de faux, ce serait dommage de gâcher ! Finalement je pratique une forme d'écriture écologiquement correcte.
Et puis au fond c'est Nora qui a envoyé une lettre de candidature à l'auteur, et un personnage de cette envergure là ne se refuse pas, je n'y suis donc pas pour grand-chose, sauf peut-être pour lui avoir fourni l'adresse de l'auteur...
Les personnages, contrairement à l'auteur, ne meurent jamais, ce n'est pas une question d'attachement, c'est juste qu'ils flottent ça et là dans l'obscurité résiduelle et de temps à autres ils prennent la forme de mots.
Pour le reste, oui, il paraît que les serial killer ont un défaut d'empathie, et en plus ce serait une histoire de neurones miroir !
NDN : Tes écris sont toujours très marqués par l'exotisme : Bangkok, bien sûr, mais aussi l'Amazonie, le Mexique... Et en même temps, on te sent très attirée par l'immobilité, le voyage intérieur. Quelle voyageuse es-tu ?
KS : Peut-être une voyageuse de l'avant qu'il ne se passe quelque chose.
Quand je vais quelque part j'aime imaginer que je vais y rester toujours, je fais ce que les gens du coin font, ou le plus souvent rien, mais forcément en décalage, alors on pourrait peut-être considérer que c'est ça le voyage, ce décalage là.
Bangkok c'est inénarrable, en tous cas pour moi, c'est comme un fond d'œil qui a été très très éblouissant, alors forcément je l'ai toujours dans mon champ de fiction.
NDN : Et pour finir, acceptes-tu de nous dévoiler quels sont tes projets ?
KS : Je viens de finir une petite Encyclopédie de l'échec sentimental, un recueil de textes courts, A comme « Apocalypse simple », B comme « Brouillard intime », C comme « Ciel clandestin », etc.
Sinon je fais des expériences transmodales, j'écris dans l'écho de la danse, comment on dit corps avec des mots...
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