lundi 31 mai 2010

COMMUNAUTES D'INDIVIDUS...

Voilà un livre qui présente au moins deux grandes qualités. La première : rappeler à tous les anti-américanistes primaires (pléonasme ?) que les Américains ne sont pas tous de grosses brutes, gorgées de Coca-Cola, qui passent leur temps à tripoter leur flingue en regardant des débilités à la télévision ; la seconde : nous expliquer que l’utopie, finalement, ce n’est pas si… utopique que cela, et qu’en retroussant un peu nos manches nous avons les moyens, sinon de changer fondamentalement le système, du moins de lui opposer des alternatives concrètes et respectables.

Dans Utopies américaines, Ronald Creagh passe en revue toutes les principales tentatives de vie communautaires libertaires qui ont été expérimentées aux États-Unis de 1816 à nos jours. Premier constat : elles ont été nombreuses et même si, dans la plupart des cas, leur existence a été brève, certaines ont survécu plusieurs décennies durant – voire existent encore. Second constat : elles n’ont pas été le fait de quelques farfelus en rupture de ban avec la société mais, dès les origines, elles s’appuient sur des convictions clairement exposées par des idéologues, des penseurs autochtones et autres militants qui n’ont aucunement à rougir face à leurs confrères Européens. Certains de ces penseurs sont assez connus en France : c’est le cas de Thoreau par exemple ou d’Emma Goldman. D’autres, tout aussi importants, le sont moins : Amos Bronson Alcott par exemple, Benjamin Tucker, Josiah Warren, ou d’autres grandes femmes telles que Voltairine de Cleyre ou Margaret Fuller…

Car, ce que nous oublions trop souvent, c’est que les États-Unis n’ont pas attendu l’actuelle « Obama-mania » pour placer la question sociale au centre de leurs préoccupations sociales et politiques. La question des droits individuels, de la place de l’État, des libertés fondamentales en matière de croyance, de déplacements, de choix professionnel etc., tout cela a été débattu là bas avec une énergie et un dynamisme qui n’a même pas toujours eu son équivalent dans des pays tels que la France ou l’Angleterre. Rappelons-nous, par exemple, qu’au début du XXe siècle, le syndicaliste et socialiste Eugène Debs, alors incarcéré pour ses idées, faisait aux élections présidentielles des scores dont n’osent même pas rêver nos actuels représentants de l’aile gauche de la gauche ! Hélas, l’histoire est joueuse et ce qui reste aujourd’hui de plus visible de cette féconde période de combats pour les libertés individuelles, c’est… le libéralisme, avec tout ce qu’il a de plus mortifère. Ce qui ne nous interdit pas de nous rappeler que le libéralisme, avant de devenir un principe d’aliénation était supposé être un principe d’émancipation…

Mais malgré tout, il convient de rester réaliste : si toutes ces expériences d’utopies mises en actes sont éminemment sympathiques, si certaines d’entre elles ont démontré qu’elles étaient parfaitement viables et durables, ce qui ressort quand même de tout cela, en négatif, c’est que ces expériences ont toujours été minoritaires et qu’elles ont toujours dû se battre durement pour survivre dans le magma humain environnant. Ce qui éclate désespérément, à la lecture de Ronald Creagh, c’est qu’il n’y a rien de moins naturel, finalement, que la vie naturelle !

C’est ainsi que la plupart des communautés présentées dans le livre de Ronald Creagh ont fini par fermer leurs portes. Certaines en raison des pressions exercées par le monde extérieur (expropriation, conditions climatiques difficiles…) mais beaucoup, aussi, ce qui est plus embêtant, en raison de problèmes internes : mésententes, conflits d’intérêts, irrespect des règles tacites ou formelles… Car l’Homme, on a beau dire, reste quand même un drôle d’animal, aussi doué pour la construction que pour la destruction !

Le problème, c’est peut-être que l’utopie, que l’auteur définit très judicieusement comme étant « une ouverture à des alternatives inattendues », est avant tout, comme il le précise également quelques lignes plus loin, une affaire d’« audace ». Et l’audace, c’est bien joli quand il s’agit de s’en servir pour spolier les biens d’autrui ou s’enrichir au-delà de toute mesure, mais quand cette audace doit déboucher sur l’altruisme, le partage, l’effort gratuit, c’est une autre histoire…

Sans compter que le modernisme et le confort, auxquels nous nous sommes habitués, constituent des freins de plus en plus importants aux velléités de retour à une vie plus saine, plus naturelle, débarrassée du superflu… Déjà en 1800, quand les utopistes invitaient leurs concitoyens à venir les rejoindre dans leurs communautés, à renouer avec le travail manuel et à vivre frugalement, ils ne convainquaient que peu d’adeptes, alors que le mode de vie qu’ils préconisaient ne différait finalement que très peu de celui de ceux qu’ils interpellaient. Mais aujourd’hui ? Comme le note très bien l’auteur, « l’occidental moderne ne supporte guère de vivre avec une dent cariée ou de perdre, faute de soins, un être chéri ».

L’utopie n’est pas un vain combat. C’est sans doute même un combat essentiel. Aujourd’hui comme hier. Mais ce n’est pas, et ce ne sera jamais, hélas, le combat de tous les hommes. Le modèle communautaire, tel que présenté dans ce volume des Utopies américaines, avec ses forces et ses faiblesses, ne sera jamais un modèle global, un projet de vie généralisable à tous les hommes. Par contre, ces expériences, heureusement peut-être pour l’humanité, se renouvelleront toujours et se développeront sans fin.

Il existera toujours des individus qui refuseront de se plier aux règles sociales et économiques, aux morales mensongères et utilitaristes, des hommes et des femmes qui refuseront d’être des loups parmi les loups et qui continueront, par l’exemple concret de leur vie « en dehors », de renvoyer à la face du monde l’image de la folie des hommes… ces hommes et ces femmes seront traités de tous les noms : anarchistes, rebelles, déviants, criminels, dégénérés… peu importe… car ils savent bien, ces « porteurs de torches » (pour reprendre le titre d’un très beau roman de Bernard Lazare) que, même s’ils sont l’objet de mille critiques, ce sont eux qui, au final, permettront à la « lumière » de ne pas s’éteindre définitivement au sein de l’humanité !

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Stéphane Beau

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Utopies américaines, expériences libertaires du XIXe siècle à nos jours, Ronald Creagh, Agone, 2009

dimanche 30 mai 2010

JE COUPE LES PONTS QUI NE JOIGNENT QUE LES DERIVES

Ma survie de la plume a toujours dépendu de revuistes et de petits éditeurs…Je suis donc mort plusieurs fois, mais l’on apprend à vivre de sa plume morte, sans les autres qui, la plupart du temps, vous le rendent bien !

Alors j’écris en priorité pour mes tiroirs. Adoptez cette expérience à votre revue, par exemple vous n’en tirez qu’un seul exemplaire, celui qui vous revient, et le tour est joué !

Je pense qu’une revue n’a d’intérêt que si elle soutient pleinement et en continu, avec insistance, les quelques auteurs que le revuiste a envie d’amener à la reconnaissance. Si c’est pour avoir mille abonnés et éparpiller les écrits de ces mille abonnés sur plusieurs années, cela finit par ressembler à un club de bridge à la dérive.

Je suis un simple poète, je ne trimbale pas un surnom en figure de style, mais j’ai bien conscience qu’en poésie, on n’a pas encore dépassé la vieillerie poétique …L’expression moderne –à la mode, les avant-gardistes, ces « recèlements » de traités de versification, ces momies assimilées, digérées, et chiées dans les recueils, encore et encore !

La poésie est devenue une histoire de professeurs et d’adolescents mal léchés attirés davantage par le mythe de Rimb, par sa gueule sur les posters, par cette révolte en trompe l’œil qui mène plus souvent, de nos jours, à l’habit vert qu’en Abyssinie !

Delahaye ! Mais de quoi qu’on cause : de la voiture ou du pote de Rimbaud ?

Les poètes maudits, quand on lit leurs biographies écrites par les Izambard soixanthuitardisés, et fulgureusement diplômés, on se demande si ceux de Charleville et d’ailleurs, ne se révéleraient pas dans la fusion d’un Sarkozy réussi et d’un Baader raté. Ils se toucheraient presque du doigt comme ce symbole sur la fresque du fameux plafond.

A quoi reconnaît-on le style ? A son habit, son col d’hermine…L’autre, pas un mot pour désigner honnêtement l’absence naturelle de style –l’astyle ? L’astylé donc, on le juge, il est dans le box des accusés, l’anarchiste –le vilain terroriste va!

Du mythe, du génie et de la postérité en littérature. (par monsieur de Mauvaise Foy) :

Ce sont des charognards patentés –qui ont obtenu un sceau du pouvoir, et qui plongent leurs becs empuantis dans les cercueils, les chairs putréfiées, les tas méconnaissables, les orbites remplies de gélatine, les os marouflés -les os mous d’électeur invétéré. Ils manipulent ces informités, les combinent, les agglomèrent, en tirent les présumés génies, les figures historiques officielles, celles qui ressemblent comme des fils à l’assujettissement en cours, aux parangons écoeurants qui se suivent…

Toi l’enfant sans collier, si tu cherches un exemple, il agonise sûrement dans une de ces prisons des républiques immondes. L’homme est en phase d’anéantissement, pris dans les sas de l’oubli programmé à travers la bouche des maîtres qui dit oui ou non selon les fils actionnés du gagne-pain qui les relient à leur indépendance.

Fabrice Marzuolo

samedi 29 mai 2010

LA REALITE EST UNE FICTION COMME LES AUTRES…

Chaque vendredi soir, ma fille de huit ans ne manquerait pour rien au monde la diffusion de Koh-Lanta, cette émission estivale où une quinzaine de candidats abandonnés sur une île déserte, doivent survivre avec les moyens du bord et s’éliminer en votant, tous les trois ou quatre jours, les uns contre les autres.

– J’ai de la chance d’avoir des parents sympas, précise ma fille à chaque fois, parce que les parents de Lili ils ne veulent pas qu’elle regarde ! – Ah bon, pourquoi ? – Parce qu’ils disent que la « télé réalité » c’est idiot et qu’il ne faut pas regarder ça.

Cette condamnation d’office de la « télé réalité » par toute une partie de la population m’a toujours laissé perplexe, car elle porte un jugement sans appel sur une question qui n’est pas neuve et qui pourtant est toujours d’actualité : qu’est-ce que la réalité ? Un des postulats récurrents des détracteurs de la « télé réalité » est le suivant : tout est truqué, scénarisé ; il n’y a donc, par conséquent, aucune raison de perdre son temps à regarder des émissions où tout est faux et où tout est fait pour nous faire prendre des vessies pour des lanternes. Présenté de la sorte le débat semble effectivement clos. La question est pourtant plus complexe.

À la « télé réalité », qui ne serait que mensonges, fictions, ces détracteurs zélés opposent généralement la vraie réalité : celle de la vraie vie.

Mais qu’est-ce que la vraie vie ? La encore, la question est aussi vieille que la philosophie. Quand on interroge les contempteurs de la « télé poubelle » sur leurs goûts propres (c’est le cas de le dire), ils répondent généralement qu’ils aiment les reportages et les documentaires (de préférence sur Arte) mais aussi le cinéma d’auteur (de préférence cosmopolite mais pas trop américain), également la musique (la vraie : le jazz, le classique ou la bonne variété française : Brel, Ferré, Brassens) et la littérature. Le plus étonnant c’est que, si l’on met pour le moment de côté le cas un peu particulier des reportages et des documentaires, nous constatons que les ennemis de la « télé réalité » lui opposent ainsi bien souvent des… fictions (c’est-à-dire des œuvres d’arts, des créations, des produits de l’imagination).

Et pourquoi pas, me direz-vous ? On sait bien depuis les grecs et leur célèbre catharsis que le fait de donner à voir une reconstruction de la réalité ouvre sur cette dernière une fenêtre dont la valeur ne peut pas être négligée. On sait bien aussi que, depuis des siècles la philosophie et l’art rivalisent d’efforts pour essayer de déterminer qui, de la raison ou de l’émotion, de la froide analyse ou du fol enthousiasme, est le plus apte à s’approcher au plus près de cette maudite fuyante réalité. Mais même les plus vaillants aventuriers de l’esprit qui ont essayé de réduire à néant cette frontière entre l’art et la philosophie (Nietzsche, Bergson, Tolstoï etc.) s’y sont cassé les dents.

Qu’est-ce qui fait que certaines fictions seraient plus proches de la réalité que d’autres ; et parallèlement, pourquoi certaines réalités (celles de la « télé réalité » par exemple) seraient-elles plus fictives que d’autres ? Cette question n’a en fait de sens que si on accepte le dualisme de base qu’elle sous-entend et qui est le suivant : il y a bien une réalité et, par conséquent, tout ce qui ne relève pas de cette réalité ne peut relever que de la fiction. C’est là, sans doute, que se niche le nœud du problème.

Pour ma part, en fidèle lecteur que je suis des œuvres de Jules de Gaultier et de son concept principal, le Bovarysme, (qui postule que tout ce qui se conçoit se conçoit forcément autre qu’il n’est, et que si le monde réel existe, nous ne sommes de toute manière pas en mesure de l’appréhender, juste de le reconstruire en fonction de nos propres besoins), le regard que je porte sur ce débat peut se résumer en ces quelques mots : « La réalité est une fiction ; la fiction est une réalité ». Partant de là, la question de savoir si la « télé réalité » est moins réelle que d’autres formes d’expressions perd tout son sens au profit de cette autre question : pourquoi cette reconstruction de la réalité gêne-t-elle une partie du public, et généralement cette catégorie de personnes qui estiment être, culturellement parlant du moins, au-dessus du panier (on retrouve également ce discours de dénigrement de la « télé réalité » dans certaines catégories sociales moins favorisées, mais je pense qu’une analyse plus approfondie montrerait que ce dénigrement traduit plus un phénomène d’imitation – pour être en conformité avec l’opinion dominante – qu’un véritable jugement raisonné).

Qu’y a-t-il donc, dans cette fichue « télé réalité » qui agace tant ses détracteurs ? Peut-être est-ce tout simplement qu’elle vient heurter de plein fouet, justement, ce dualisme réalité/fiction qui est un des fondements de notre civilisation, et qui est aussi un des garants de la stabilité de l’ordre établi. Car, comme nous l’avons dit, la reconstruction du réel ne se fait pas n’importe comment, mais en fonction de besoins et d’intérêts bien précis : en effet, le plus important n’est pas – contrairement à ce qui est généralement dit – d’approcher au plus près du réel, mais de donner un sens idéologique et moral inaltérable à ce réel reconstruit : distinction claire du bien, du mal, du vrai, du faux, du bon, du mauvais. Et ce que cette reconstruction du réel craint le plus, c’est tout ce qui peut venir faire vaciller ses assises et mettre à mal tout l’édifice, qui n’est logique qu’à la seule condition que l’on ne s’intéresse pas trop à ses fondations.

Qu’est-ce que les détracteurs de la « télé réalité » attendent généralement des films ou des reportages qu’ils regardent : qu’ils les aident à intégrer dans leur logique de reconstruction du réel tous les éléments bruts qui pourraient avoir un effet perturbateur [1]. À partir du moment ou réalité et fiction sont clairement posées comme étant deux données radicalement opposables, tout peux se reconstruire logiquement : les journalistes peuvent disserter sans fin sur les plus horribles informations : elles se trouvent automatiquement intégrées à un ordre moral et émotionnel logique (bien, mal, juste, injuste, triste, joyeux)[2] ; les films ou les romans peuvent bien présenter des histoires compliquées et mettre en scène des personnages aux psychologies complexes, les codifications bien huilées de l’écriture et de la mise en scène font que, par un subtil travail d’analyses, de comptes rendus, de débats, tout ce qui est potentiellement perturbant pour l’ordre établi peut sans souci être retraduit en termes acceptables.

Le problème de la « télé réalité » justement, c’est qu’elle ne joue pas le jeu ou plus exactement, qu’elle le joue à fond. Non seulement elle ne propose pas de véritable clé de lecture permettant d’assimiler ce qu’elle offre au téléspectateur mais en plus elle brouille les cartes en présentant à ce dernier le paradoxe d’une réalité ouvertement reconstruite qui ne laisse aucun doute : oui, la réalité est bien une fiction. Celle là, mais aussi toutes les autres. Pourquoi les relations humaines présentées dans Koh-Lanta seraient-elles plus fausses que celles qui se jouent ailleurs ? Pourquoi seraient-elles moins vraies que toutes les autres relations humaines, qu’elles soient professionnelles, familiales, amicales qui reposent elles aussi sur des reconstructions fictives de ce que doivent être ces réalités.

Les candidats qui évoluent dans le cadre de Koh-Lanta sont des individus comme les autres : leurs sentiments, leurs réactions, leurs forces et leurs faiblesses ne diffèrent en rien de ce qui existe ailleurs. Ils sont même bien souvent beaucoup plus sages et nuancés que la moyenne. Nous passons notre temps à voir vivre de vrais gens autour de nous, au travail, chez nous, dans la rue. Nous passons également une grande partie de notre temps à analyser leurs faits et gestes, à débattre sans fin sur ce qu’ils font (et cela sur un spectre qui s’étend des plus basiques cancans de la pause café au études sociologiques les plus poussées). Alors, pourquoi ne pourrions-nous pas regarder vivre les aventuriers de Koh-Lanta sans en faire tout un plat, sinon parce que, ce que ces derniers nous renvoient de manière inconsciente sur la fragilité de la réalité et sur l’omnipotence de la fiction, est trop difficilement acceptable pour beaucoup d’entre nous ?

Un des candidats du Koh-Lanta de cette année [3], prénommé Hakim, est assez emblématique de toute cette ambiguïté qui tourne autour de la « télé réalité ». Le jeune homme, éboueur dans la région nantaise, est indéniablement le plus lucide de tous les candidats. Il sait pourquoi il est là : gagner. Il n’est pas là pour se faire des amis – ni des ennemis, et il sait que s’il est éliminé, ce n’est pas une catastrophe : savoir jouer, c’est aussi savoir perdre. Il porte sur les petits mélodrames qui constituent le quotidien des aventuriers un regard toujours plein de recul. Là où les autres s’emberlificotent dans des questions de loyauté, de trahison, de respect du groupe et des ses chefs – questions qui constituent de magnifiques reproductions miniatures des mensonges sociaux qui ont cours à l’extérieur –, lui trace sa voie, tranquillement, en individu libre, sachant composer avec le groupe quand il le faut, sachant mettre en place des stratégies individuelles à l’occasion (cacher des noix de cocos, se rapprocher de tel ou tel concurrent dont l’amitié est un atout important).

Et paradoxalement, en jouant pleinement le jeu, (c’est-à-dire en refusant de jouer le jeu que la production et ses camarades naufragés attendent de lui) Hakim nous offre une mise en abîme assez étonnante qui rend l’opposition entre réalité et fiction encore plus complexe. Car quel est le souhait réel des concepteurs de l’émission Koh-Lanta (et de la plupart des émissions qui s’inscrivent dans le même registre) : c’est que les candidats se comportent face aux caméras le plus naturellement possible, autrement dit, qu’ils soient aussi fictifs qu’ils le sont dans leur réalité. Mais à partir du moment où un candidat ne joue pas le jeu en rappelant justement que tout ceci est un jeu, il fausse la belle mécanique et donne au spectacle une dimension supplémentaire qui, selon moi, vaut bien ce que l’on peut trouver – n’en déplaise aux parents de Lili – dans maints films d’auteurs, maints romans et maints bouquins de philosophie que les gens cultivés couvrent d’éloges.

Le problème principal, ai-je envie de dire, en conclusion, ce n’est pas que des émissions comme Koh-Lanta existent ou non : le problème c’est qu’elles viennent mettre le doigt sur l’hypocrisie générale qui régit les normes sociales et les cadres moraux de nos sociétés et que trop rares sont ceux qui peuvent entendre que la vie n’est au final qu’un jeu qui n’a rien de réel. Le problème, c’est qu’il y a beaucoup trop peu de Hakim parmi nous pour renvoyer aux bien pensants toute l’absurdité de leurs mensonges vitaux et des fictions quotidiennes auxquelles ils s’accrochent désespérément comme des naufragés – des vrais cette fois-ci – agrippés à leur bouée de sauvetage. .

Stéphane Beau (2008)

[1] Un peu comme les rêves et le sommeil permettent aux dormeurs d’assimiler tout ce qu’ils ont vécu durant leur vie éveillée. [2] Ordre logique qui diffère bien sûr selon le lieu où l’on se trouve. [3] Texte écrit en 2008.

vendredi 28 mai 2010

LETTRE #6

Cher Roland,

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Je commencerai par une sale image qui m’avait donné la nausée, il y a de cela une dizaine d’années, sur un parking de supermarché, un Intermarché très exactement, à Mauzé-sur-le-mignon plus précisément, vous savez, le Mauzé de ce cochon de Morin des Contes de la Bécasse.

Bref, c’était aux alentours de Noël. Les livreurs s’affairaient à remplir les rayons de peluches, de barbies, de chocolateries, de champagne plus ou moins frelaté et autres cochonneries de la fête obligatoire autour de l’improbable naissance d’un dieu encore plus improbable.

Et voilà que voici qu’un livreur perché sur son Fenwick se met à transbahuter parmi les rayons fortement achalandés, des palettes entières de livres pour ceux qui voudraient fêter dieu en cultivant leur jardin. Des livres de Rimbaud réédités dans une collection minable, sur un papier minable avec une couverture minable.

Ça n’est point que je tienne rigueur à la consommation de masse de se pencher sur Rimbaud…Mais j’étais certain que pour la clientèle de l’Intermarché de Mauzé, il y avait là beaucoup, beaucoup trop de Rimbaud pour être décemment lus.

Rimbaud, donc, était devenu un produit de masse, une idée de cadeau, un présent au même titre qu’une bague, un portable, une tronçonneuse ou je ne sais quoi encore.

C’est une image réelle, vécue, mais je vous la sers en guise d’allégorie…

Rimbaud est devenu en fait ce que les gens en ont fait et en premier lieu les discoureurs les plus abscons de la littérature. A force de dire qu’il était un découvreur, un déstructurateur du langage poétique, on a fini, ça a pris du temps mais on a fini quand même, par en faire une mode obligatoire, le nec plus ultra de la finesse en poésie mutine en même temps qu’une institution forcément à fréquenter au risque de passer pour un vil béotien.

C’est un poncif : On dit qu’il aurait ouvert la porte à toute la horde surréaliste. Qu’il est à cette école ce que Bernardin de Saint-Pierre fut au romantisme. Soit. Ne dénions pas à Arthur Rimbaud sa vision autrement du monde et l’intelligence sensible avec laquelle il nous fit part de cette vision autrement.

Mais, comme toutes les grandes choses mises à la portée des trivialités marchandes et de leur confusionnisme intéressé, il a évidemment sombré dans la vulgarité de ses exégètes. Et je vous suis bien Roland, quand vous semblez vous agacer de tous ces poètes autoproclamés qui pensent qu’écrire difforme et cul par-dessus tête en torturant la langue dans tous les sens suffit à livrer du monde la vision chaotique de la poésie et à brandir le drapeau toujours sympathique et échevelé de la révolte.

Pourtant la destructuration du verbe est une chose des plus ringardes. Dès 1956, Debord écrivait dans son rapport sur la construction des situations : « L’erreur qui est à la racine du surréalisme est l’idée de la richesse infinie de l’imagination inconsciente. La cause de l’échec idéologique du surréalisme, c’est d’avoir parié que l’inconscient était la grande force, enfin découverte, de la vie. C’est d’avoir révisé l’histoire des idées en conséquence, et de l’avoir arrêtée là. Nous savons finalement que l’imagination inconsciente est pauvre, que l’écriture automatique est monotone et que tout un genre « d’insolite » qui affiche de loin l’immuable allure surréaliste est extrêmement peu surprenant .»

On ne peut mieux dire et ces mots d’un demi-siècle d’âge sont hélas d’une brûlante actualité.

On m’a souvent fait le gentil reproche d’user d’une langue classique…

J’assume évidemment, et ce, pour deux raisons.

La première est que je suis persuadé que le miel est plus délectable que l’étiquette du pot.

La seconde, plus essentielle encore, c’est que c’est de cette langue écrite et entachée d’un certain classicisme, que je tire le plus de plaisir. Mon approche du monde, ma friction à son âpreté, dans ce qu’elle a d’authentique et de vécu, a besoin du sujet, du verbe et du complément pour être dite sans ambages.

Si nous sommes en révolte contre un monde structuré de telle manière qu'il ne nous plaît pas, ça n'est pas en mettant du désordre raisonné dans notre écriture que nous le mettrons en danger. Cette façon de procéder, encore une fois, fissure l'image en laissant intact le réel et lâche la proie pour l'ombre.

Et j’en termine, cher Roland, sur ce vieil adage : Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse !

Certes. Encore faut-il qu’il y ait de quoi se mouiller les amygdales dans le susdit flacon.

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Amitiés sincères et polonaises

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Bertrand

jeudi 27 mai 2010

LETTRE #5

Mon cher Bertrand

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Depuis Rimbaud, nous sommes modernes. Résolument modernes. Et nous avons déréglé les sens, si bien déréglé et dans tous les sens du terme (sensualité, signification, direction) que voilà, voilà : n’importe lequel d’entre nous a acquis le droit de se proclamer poète, s’étant au préalable, reconnu voyant. Poète, voyant, c'est-à-dire révolté par essence, inspiré par nature, et libéré de toute forme, cela coule de source.

Il est, dans cette fameuse lettre dite du Voyant, non pas celle d’abord parvenue à Izambard, mais celle écrite à Demeny le 15 mai 1871, un terme peut-être trop souvent oublié, que je pose en italiques afin que chacun s’y arrête quelques secondes : Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. Raisonné : Voilà qui donne tout son poids à la formule magique rimbaldienne, au sésame ouvre-toi de la modernité.

Raisonné, le mot ne signifie-t-il pas guidé par la raison ? Oh voilà qui flaire vilainement son Boileau, voire son Racine (le divin Sot !) et son Port-Royal, pour tout dire son classicisme honni par ceux qui, tout juste sortis de l’enfance, vomissent leur révolte nécessaire et abhorrent toute forme d’ordre, même langagier, même prosodique, même syntaxique : Raisonné : certains trouveront qu’il s’accommode mal du voyage fluvial puis maritime d’un certain bateau auquel on aura fait dire tant et tant de choses qu’il a fini lui aussi par devenir salement institutionnel. Et pourtant, il se trouve bel et bien sous la plume d’Arthur.

Comme René Char le souligna, il a bien fait de partir, Arthur Rimbaud, « d’abandonner les estaminets des pisse-lyres » - car ils raisonnaient peu, suis-je tenté d’ajouter. Aujourd’hui, plus que les pisse-lyres, ce sont peut-être davantage les pisse-révoltes que Rimbaud devrait laisser dans leurs estaminets. Slameurs, slameuses et autres voyants (voyantes) à trois francs six-sous pour printemps des poètes démocratiquement post-modernes. Car la révolte n’est ni un engouement passager ni une posture ; la révolte, ça ne se pisse pas, ça s’argumente. In fine, la poésie est-elle l’art le mieux armé pour le faire ?

La poésie, « l’art idiot », jadis, possédait ses règles, ses mètres et ses maîtres, ses rythmes et ses rimes, son projet intrinsèque à lui-même, lesquels, j’en conviens, avaient moisi pour reprendre la métaphore rimbaldienne. Mais n’ont-ils pas moisi également, ce lyrisme beuglard de la révolte, ce conformisme inoffensif de la provocation, et surtout, surtout, ce non-sens asséné comme une règle par tant d’imbéciles qui se proclament auteurs dans un pur et infécond suivisme, propre de la société de masse qui est la nôtre ? « Tout garçon épicier est en mesure de débobiner une apostrophe Rollaque ; tout séminariste emporte les cinq cents rimes dans le secret d'un carnet.», s’exclamait Arthur en son temps. A présent, « tout banlieusard rappeur et métissé est en mesure de slamer une apostrophe arthurienne, tout lycéen boutonneux de centre ville emporte les cinq cent rimes dans le secret d’un DVD. » Sommes-nous pour autant à l’ère des « démultiplicateurs de progrès » ? A celle des apôtres d’un « langage universel » ?

La question, franchement, reste pendante…

Amicalement,

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Roland

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PS. On vient de découvrir une prétendue nouvelle photo de Rimbaud. Coup éditorial ou véritable scoop ? Comme je n’en sais fichtrement rien, je vous joins celle-ci, plus connue, celle du fameux bon élève de Charleville qui dans le rêve de chacun d’entre nous, a eu son heure de gloire, je présume.

mercredi 26 mai 2010

SERIE CRIMINELLE

synopsis du déjà vu. Cette série télévisée a la délicatesse de ne s’occuper que de criminels psychopathes. Son dernier épisode s’ouvre par une citation, en « voix off », de Blaise Pascal. Un petit quelque chose sur le vertige de l’amour, bien senti, absolument tragique. Mais cette maxime, dans ce contexte, entendue sur les gros plans pornographiques d’une famille décimée, démembrée, au sens propre de ce terme, libère le parfum neutre d’une pensée morale sans épine, aussi inoffensive et vaine qu’à sa place à peu près n’importe quelle phrase publique de Nicolas Sarkozy sonnerait comme un ordre de révolte, de purification éthique, de terrorisme à la nique-ta-mère à l’explosif. Les profileurs de cette série font ensuite face à des récidives de plus en plus élogieuses et reconnaissantes. Les tortures qu’ils doivent reconstituer à partir des restes humains que cet allumé sème sur son passage atteignent une simplicité insupportable, et envoient à chacun(e) des messages si clairs et personnels que les enquêteurs en sont bientôt réduits à écumer les égouts de leur propre humanité, et l’empathie, si indispensable à leurs investigations, ennemi nécessaire, les abandonne à leur sort. Rapidement ils finissent par ressembler de suffisamment près au jobard qu’ils traquent pour douter de son existence même, comme de leur premier syllogisme moral. A chaque nouveau crime, ils ont un temps d’avance encore plus court sur eux-même et ne supportent plus de se manquer de si peu. En désespoir de cause, ils convoquent la télévision, les journaux, qui ne parlent bientôt plus que des supplices extraordinaires que cet ennemi public promet à quiconque lui témoignera de la peur, de l’indignation, de l’admiration. L’Etat s’en mêle et multiplie les intimidations, les menaces, en direction du barge, et à chaque drame un de ses représentants apparaît, outré, dur. Azimutés, entraînés par les lames de fonds qu’ils ont eux-mêmes déclenchées par l’opinion publique, les enquêteurs psychologues retournent la nation sens dessus dessous et de fonds en comble pour finalement découvrir le « frappadingue en série » confortablement installé dans sa résidence présidentielle, occupé à visionner, sur ses petits écrans plats, les faits et gestes de ses sbires, de ses ennemis, vivant grassement sur le dos de ses névroses comme de ses frustrations. Le schéma de ce genre de série, comme le schéma de notre actualité, est toujours, de près ou de loin, lié aux mêmes mécanismes de pouvoir. Et leur fin, à proprement parler, est toujours la même. Pourtant, cette fois à nouveau, on ne l’aura pas vu venir.

Non, c’est non. Le noir éclaire nos zones d’ombre et irradie de nuances pures et saugrenues, de morts vivantes, c’est désormais banalité que de le rappeler. Il atteint ces tropiques irrespirables sous lesquels nos convictions les mieux chevillées rejoignent parfaitement nos peurs, nos superstitions et nos folies ordinaires, comme l’ombre, le reflet, l’écho, dans des circonstances favorables, se confondent avec leur source vive. L’auteur de polar peut intriguer autant qu’il l’entend, s’il n’accède à cette clairvoyance paradoxale, il ne présentera jamais que de la « blanche » qui a mal tourné, du conforme non conformé; et inversement un noiraud authentique (voir le cinéma d’Alfred Hitchcock ou celui de Douglas Sirk) fera de la banalité la plus confondante un cauchemar de confusion. Il va du refus et de nos insatisfactions, comme du noir et de nos superstitions ; si celles-ci gardent le dessus, il est à craindre qu’on refuse essentiellement de se regarder en face.

Frayeur par effraction. Ce n’est le plus souvent pas le caractère odieux du crime qui nous effraie, mais l’art de la diversion qu’à son épreuve nous nous révélons à nous-même, le déploiement inépuisable de son fait dans notre esprit, qui leurre nos déductions les plus prudentes et ruine jusqu’aux assises sceptiques de notre jugement. On change un criminel pour un autre suivant une conviction intime tout aussi déterminée que la conviction contraire l’était cinq minutes plus tôt, à l’appui de preuves souvent identiques, mais qui procèdent de petits arrangements avec soi-même, décident sur le tas et au petit bonheur des dissimulations à dévoiler et de celles qui demeureront actives. Ce jeu n’est pas infini mais il est incontrôlable. La terreur se comporte, dans tout esprit humain, exactement comme chez elle.

Etre à la philosophie ce que Peter Falk est au cinéma. Avec toute philosophie, il convient de se comporter comme le lieutenant Colombo avec une suspecte éplorée : feindre d’avoir oublié la question qui vous a amené(e) à la questionner, l’inviter à pallier à vos insuffisances et à débrouiller elle-même l’énigme qu’elle vous oppose, en levant adroitement les contradictions, les incohérences de ses propres allégations, et ne poser la question cruciale qu’en prenant congé d’elle, l’air confiant, la main sur le front, la vue la plus basse possible. Si elle ne vous propose que le silence, vous pouvez encore lui laisser le bénéfice du doute et vous préparer à une enquête âpre, où aucun détail ne sera à négliger, où l’excès de confiance travaillera sournoisement contre soi. Mais si la philosophie cuisinée parvient à formuler la seule explication acceptable, la seule capable de la sortir de son mauvais pas aporétique, vous pouvez être certain(e) de la confondre sans devoir vous fouler outre mesure : ce n’est plus qu’une question de temps.

L’exquisité du cadavre. Le flegme, l’humour désabusé du médecin légiste est un ressort criminel inaltérable, qu’aucun acide ne corrodera, qu’aucune surprise ne peut distordre. Et je ne me souviens pas d’avoir jamais entendu parler ni vu, en réalité comme en fiction, de légistes insatisfaits au point de garnir eux-même leurs chambres froides. Ils semblent bien se contenter de ce que la vie leur donne. Il faut croire que ces médecins-là aiment beaucoup trop la mort pour la donner.

L’énigme. En noir et en blanc, l’existence reprend instantanément de sa couleur véritable.

Simenon et le crime d’exister. Maigret : Vous venez de me dire que vous ne connaissiez pas cet homme. Pourquoi alors l’avez-vous tué ? Le juge : Moi !? Mais je ne connaissais pas cet homme, pourquoi donc aurais-je tué un homme que je ne connais pas ? Maigret ne s’offusque pas que le juge lui retourne sa question, bien au contraire. Il vient pourtant de le surprendre sur le pas de son perron, en sueurs, exsangue, tirant vers la mer le cadavre de cet inconnu enroulé dans un tapis. Une scène d’une transparence parfaite. Pourtant, Maigret entend la sincérité du juge, blême, au bord de la suffocation dans la lumière aveuglante de la cuisine où ils ont rentré le corps. Ils l’ont installé sur la table et interrogent ensemble sa présence inexplicable. Le juge est proprement éberlué, et son incrédulité est déjà moindre quand il se tourne vers le commissaire, qu’il ne connaît pourtant que depuis quelques minutes et qu’il n’avait à priori aucune chance de rencontrer devant sa maison alors qu’il tentait d’en faire disparaître un macchabée. Il ne fait pour Maigret aucun doute que le juge se demande en toute bonne foi ce que cet homme fait là, froid, étendu sur la toile cirée de sa table de cuisine. Dès cet instant, Maigret le croit. Et alors que tout désignera ensuite plus lourdement le juge, Maigret continuera de le tenir pour innocent, se fiant non pas à une intuition, ou à une impression favorable produite sur lui par cet homme très suspect, mais tout bonnement à ce raisonnement d’allure tautologique : si on peut certes tuer un homme qu’on ne connaît pas, on ne peut tout de même pas avoir tué un homme qu’on n’a jamais vu ![1]

C’est une caractéristique constante, non seulement des personnages de la série des Maigret, mais des personnages de Simenon en général, que de s’en tenir finalement à la vérité, même quand ils mentent sur le fond ou ne veulent pas savoir grand-chose d’eux-mêmes. Pour la plupart en fuite, y compris Maigret peut-être, les doubles de Simenon, quoiqu’ils fassent et aussi loin qu’ils fuient, finissent par se rattraper au coin d’une rue, en allumant une cigarette, en apercevant dans la vitre d’une voiture la silhouette d’une femme, d’un homme qu’il n’a jamais vu auparavant et qu’il ne reverra plus : si on peut certes changer, et éventuellement changer le monde en changeant, on ne peut pas changer de monde.

Stéphane Prat


[1] Ce raisonnement est tenu par le juge lui-même, dans la nouvelle de Simenon, Maigret et le juge. On doit cet extrait, et cette réplique du juge qui sonne comme un aphorisme à Bertrand Van Effenterre qui en faisait l’adaptation pour la télévision en 1992 : Maigret et la maison du juge, où Jules Maigret est joué par Bruno Crémer, tandis que Michel Bouquet interprète le juge.

mardi 25 mai 2010

PUB !

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La Fiction universelle, Deuxième essai sur le pouvoir d'imaginer, Jules de Gaultier
:
Texte établi et présenté par Stéphane Beau
:
Editions du Sandre, Mai 2010, 248 pages, 26 euros, ISBN 978-2-35821-042-3

lundi 24 mai 2010

POÈME HEXAGONAL

au bout du bourg

une ancienne usine d'on ne sait quoi

a fermé ses portes

la production a été délocalisée

on ne sait où

on ne sait pas grand chose

mais on en parle

on ouvre sa bouche

malgré les mouches qui ont envahi le café

en se moquant de la saison

le journal qui passe de main en main

ne suffit pas à les chasser

Frédérick Houdaer

dimanche 23 mai 2010

ENUMERATIONS POETIQUES 2/2

Lectures :

Je lis les routes et les fossés. Je lis les traces des nuages. Je lis la piste du jour qui passe. Je lis la piste de chaque fuite. Je lis les croûtes, les plaies, les cicatrices. Je lis l’ombre de mon chien. Chaque bouture et chaque branche. Les trous, les creux, les noeuds, les bosses. Les escargots collés aux planches. Les litanies d’insectes collés aux vitres. Je lis l’affection des fenêtres. Les marques d’un corps dans les draps. Je lis les cendres et les miettes. La crasse sous les ongles et la piste blanche des larmes sèches. Je traduis les rébus cachés au fond des ombres. Je lis mes peurs chaque soir. La colère et la honte dans mes silences gênés. Je peux lire mon reflet à chaque fois que les autres se trompent, se mentent, se volent, s’affrontent. Je sais lire dans l’orgueil, le mépris, le désenchantement. Je peux lire mon histoire chaque fois qu’un mur s’écroule ou qu’une fourmi se marre. Je peux lire la flamme qui prépare la fuite. Capsules, goulots, pailles, feuilles, buvards, pastilles. Dans la perte je cache toutes mes petites prières. Je peux lire la crevasse où se cache la lumière.

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Communication :

Je cause au caillou dans ma chaussure, au chien qui bave sur les coussins, je cause aux ridules et aux rhizomes, je cause à la suie et à la sciure, je cause au découvert de ma banque, aux champignons sur le tas de compost, à mon tartre et mes poils de barbe, aux traces sur ses petites culottes, je cause au moucheron dans mon verre, aux moineaux qui boulottent les cerises, à l'écureuil prés des poubelles, au vieux bousier qui pousse sa bouse, je cause au pollen dans mes narines, à l'odeur de son oreiller, au tas de linge sale dans le garage, aux fourmis dans une carcasse, à la corde à linge détendue, au bois qui blanchit sous la pluie; aux têtards et aux arachnides, aux dessins prés du téléphone, aux vieux livres que je ne lis plus, je cause aux fils blancs dans le ciel, aux matins de pluie sans lumière, aux essuie-glaces de ma voiture, aux enfants qui te font des doigts, aux vieux qui sentent la friture, aux poules aux carpes aux crapauds, aux boules de pétanque rouillées, aux vieux mégots qui se consument, aux pissenlits dans les pavés, aux gouttières aux moustiques, aux amibes aux nuisibles, aux bouteilles dans les ruisseaux, aux vieilles chaussures abandonnées, aux cantonniers aux boulangères, aux pieds de tomates et aux caissières, aux nuits sans étoile et sans lune, à l'haleine chaude du brouillard, à la mousse des bords de fleuve, aux lombrics et au bois pourri, aux bouquets de fleurs attachés aux platanes sur le bord des routes, à ma mère à ta sœur, au plombier au facteur, à la cuvette tiède de mes chiottes, mais paraît-il je suis misanthrope...

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Thomas Vinau

samedi 22 mai 2010

LE CREPUSCULE D'UNE IDOLE...

Tous ceux qui s’intéressent un peu au parcours de Michel Onfray savent très bien que notre médiatique philosophe normand est à sec d’idées neuves depuis déjà une bonne dizaine d’années (en étant gentil), et que cela fait bien longtemps qu’il ne survit intellectuellement qu’en délayant à l’extrême son fond de commerce hédoniste. Seulement, comme c’est un peu léger, il a été obligé d’en rajouter toujours un peu plus dans la provocation, la haine et les flingages tous azimuts, histoire de continuer à intéresser le lecteur. Mais voilà, cette fuite en avant ne pouvait pas être éternelle. Son dernier livre, Le Crépuscule d’une idole, l’affabulation freudienne nous en apporte, hélas, une cruelle preuve. Car avec ce dernier volume sur Freud, force est d’admettre que l’on est plus proche, aussi bien au niveau du contenu qu’en termes de marketing, de Voici que des Presses Universitaires Françaises…
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Le plus amusant d’ailleurs, puisqu’on parle marketing, c’est de voir à quel point la couverture de ce dernier opus constitue un véritable acte manqué (hommage involontaire à Freud ?). Qu’y lit-on, en effet, écrit en gras : Michel Onfray, Le Crépuscule d’une idole. Si on fait abstraction du petit sous-titre qui suit (l’affabulation freudienne) on a presque l’impression que l’idole crépusculaire dont il va être question dans ce pavé de plus de 600 pages n’est autre qu’Onfray lui-même. Et au final, c’est exactement le sentiment qu’on a en lisant son livre…
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Que dire de ce bouquin ? Dans un premier temps, j’ai été tenté d’y recenser toutes les approximations, les contresens, les absurdités… Peine perdue : il faudrait s’arrêter quasiment à chaque page. On y trouve un Michel Onfray tellement brouillon, tellement hargneux et empressé d’écraser son adversaire qu’il en oublie toute intelligence et toute logique. Je vais me contenter ici de signaler quelques uns de ses plus affligeants dérapages, à titre d’exemples : la liste complète pourrait s’étendre sur des dizaines de pages…
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Ainsi, pour commencer, ce reproche fait à Freud d’avoir voulu trafiquer sa biographie pour ne retenir que ce qui l’arrangeait. Franchement : que nous vend Onfray, depuis plus de vingt ans, lui qui nous dévoile, au fil de ses ouvrages, tous les épisodes de sa vie légendaire : Saint Michel à l’usine, Saint Michel et les prêtres pédophiles, Saint Michel découvre Nietzsche, Saint Michel frôle la mort, Saint Michel mange des fraises (il commence même à les sucrer…) Saint Michel et le cancer de Marie-Claude, Saint Michel au découvre le pôle Nord avec papa… Je sais bien qu’Onfray, très stratégiquement, nous explique que ces réalités biographiques sont indispensables à la compréhension de sa pensée. C’est possible. En attendant, il a aussi trouvé là un merveilleux moyen de fixer sa biographie, en la dégraissant de ce qu’elle peut avoir de moins noble, et en coupant l’herbe sous le pied d’autres biographes, éventuellement moins indulgents… Ce qui n’est pas grave en soi, et même plutôt humain, somme toute. Mais il faut alors éviter de reprocher aux autres d’en faire autant…

De la même manière, comment ne pas sourire quand on voit Onfray reprocher à Freud son manque d’humilité et sa volonté de devenir LE penseur de son temps… Comment dit-on, déjà ? L’hôpital qui se moque de la charité ? Tiens donc ! Je me rappelle du temps où Onfray, quand il posait les bases de sa propre statue, fustigeait sévèrement l’humilité, ce sentiment chrétien… Idem quand il reproche à Freud de se concevoir comme un « conquistador », un « aventurier », deux figures de brutes aux mains rougies de sang… Et le « Condottiere » auquel Onfray s’assimile dans La Sculpture de soi, c’était quoi ? Un doux bambin jouant avec son hochet ? Aurait-il changé d’avis sur ces questions ? C’est étonnant car Onfray ne supporte pas les penseurs qui renient leurs pensées : c’est d’ailleurs une des critiques qu’il fait à Freud…

On voit bien que, quand il s’agit de cogner sur Freud, tous les arguments sont bons, les plus judicieux, comme les plus absurdes. Il est ainsi quand même particulièrement comique de découvrir qu’Onfray reproche à Freud de s’être appuyé sur des explications corporelles parfois discutables (« l’urine de l’arroseur ontologique ou le pet du concertiste », page 91) et de trop s'appesantir sur ses propres dysfonctionnements organiques : problèmes intestinaux, maux de tête, troubles sexuels…. Alors que c’est quand même une marque de fabrique d’Onfray lui-même que de se complaire dans de tels déballages ! Relisez Onfray, vous verrez : du bout du gland au tréfonds du myocarde, en passant par ses ulcères, le doigt de son père ou les seins de sa dulcinée, on sait tout du corps d’Onfray et de ceux de ses proches !

On pourrait ainsi s’amuser à relever tous les passages ou Onfray est pris en flagrant délit de mauvaise foi : comment il reproche à Freud de conclure, à partir de bases douteuses, que Nietzsche est un inverti alors qu’Onfray lui-même, sur des bases aussi faibles peut décréter sans rire que Saint Paul était un impuissant ; comment il s’indigne que l’on ose invoquer Hitler pour disqualifier ceux qui critiquent Freud, alors que quand il s’agissait de disqualifier ce même Saint Paul, il trouvait parfaitement légitime de rappeler qu’Hitler le lisait avec indulgence…

Dans ce livre, qui relève plus de l’exécution que de la biographie ou de l’analyse historique, on comprend très vite que, de toute manière, quoi qu’ait fait, pensé, dit, imaginé, écrit ou rêvé Freud, rien ne pourra être sauvé, et que tout sera définitivement retenu contre lui. Tout, même les éléments les plus contradictoires. Deux exemples.

Onfray, tout au long de son livre, n’a pas de mots assez durs pour fustiger la volonté de Freud de taire nombre des aléas de sa vie réelle, lisant en cela la preuve que le père de la psychanalyse est un falsificateur qui ne nous donne pas les vraies clés de sa pensée. Mais quand Freud, justement, s’engage sur cette voie, parle de lui, de ses doutes, de ses troubles physiques ou psychiques, Onfray, au lieu d’approuver, jubile au contraire en disant que l’on tient bien là la preuve que Freud était non seulement un piètre scientifique, mais aussi un grand malade, peu digne d’intérêt et de sympathie… De la même manière, Onfray n’a aucune indulgence en ce qui concerne la sévérité de Freud à l’égard de son pauvre père. Seulement, quand, après la mort de ce dernier, Freud apparaît un peu plus positif, Onfray, s’emporte : quoi ! Comment peut-on être aussi magnanime à l’égard de ce patriarche sans envergure, vieux coureur de jupon qui a usé trois femmes qui a ruiné son entreprise… Faudrait savoir…

Une fois le livre achevé on se dit que, si Freud se sortira sans trop de mal de ce traquenard, l’avenir d’Onfray est beaucoup plus incertain. Ce livre va sans aucun doute marquer un tournant dans sa carrière, éventuellement dans sa vie. Car après un tel désastre intellectuel, dont le retentissement est loin d’être terminé, seules deux options vont s’ouvrir à lui : soit poursuivre sa course en avant vers le scoop, le scandale, la haine et le radotage, soit donner un véritable coup de frein et se remettre sérieusement et profondément en question. Dans le premier cas (hélas le plus probable), il continuera certes à publier régulièrement des brûlots et des pamphlets dont la valeur philosophique sera de plus en plus réduite. Il trouvera toujours des lecteurs, car il y a un public pour cela, mais il sera définitivement mort pour la philosophie. Dans le second cas, son prochain livre méritera d’être lu avec attention… Mais hélas, je ne me fais guère d’illusions…

Le Crépuscule d'une idole, l'affabulation freudienne, Michel Onfray, Grasset, 2010

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Stéphane Beau

vendredi 21 mai 2010

LETTRES #4

Cher Roland,

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J’ai lu votre lettre avec beaucoup de joie (en voilà une introduction qu’elle est bien courtoise et fort originale, ma foi !) car les sujets que vous y abordez sont effectivement essentiels pour qui se mêle d’écrire.

Vous mettez le doigt sur l’historique d’une écriture et dévoilez ainsi que nul, en ce domaine comme dans tous les autres, ne se fait soi-même mais trimballe dans ses valises (dans son encrier, en l’occurrence) des références, toute une famille qui depuis longtemps ne le quitte plus et qui murmure dans l’ombre, sans pour autant que l’auteur ait pleinement conscience de ces bruissements.

Car, dès que le couvert est mis, cette tribu sympathique s’invite régulièrement et sans vergogne aux plaisirs d’écrire. Je n’avais en effet jamais prévu d’introduire Genevoix ou Maupassant au départ de Zozo, pas plus que Roger Vailland au départ de Géographiques. Mais, à un certain moment, quand la fête battait son plein, ils sont accourus d’eux-mêmes tels de vieux fantômes et parce qu’ils avaient sans doute entendu qu’on se livrait en ces lieux à leur débauche favorite d’antan. Ils se sont imposés. Sans eux, la fête eût été un peu bancale.

Genevoix, je l’ai rencontré quand j'étais adolescent. Au milieu des champs et des bois et quelle merveilleuse sensation que celle d’éprouver soudain qu’on est en train de vivre dans un livre, avec des mots qu’on voudrait soi-même avoir ciselés, ce qui vous entoure en réalité et que vous aimez, du chant du merle noir à la buse qui plane en haut du ciel, jusqu’à la fraîcheur de la prairie en passant par les pénombres des sous-bois.

Forcément alors, penché sur mon manuscrit, tout cela s’invite, tant l’émotion d’écrire et celle de lire jouent sur les mêmes partitions. Du moins chez moi.

Il en va de même pour Vailland, quoique j’aie fait sa connaissance beaucoup plus tard.

À un âge un peu désabusé. Quand le parcours est déjà quelque peu abîmé. Ce n’étaient plus les paysages qui étaient présents mais l’obstination à vivre pleinement sa vie, mêlée à un certain désespoir et à un goût prononcé pour l’ivresse et les jeux de l’amour.

J’ai tout lu de vailland, jusqu’au volumineux et inachevé Ecrits intimes qu’une de ses anciennes amies, que j’ai eu la chance de rencontrer à Paris, m’avait gentiment offert. Cependant, Roland, en dépit de tout ce que j’ai pu lire et de tout ce que je lis encore de livres et d’auteurs, s’il est un seul livre que j’eusse aimé écrire, un livre qui m’a profondément marqué, ému, bouleversé, c’est bien Les Mauvais coups.

Nul autre n’est venu à ce jour me procurer la sensation de lire un frère. Plus qu’une oeuvre, un miroir, même si ça n’est pas ce qu’on demande à un livre, mais je me situe là plus sur le domaine du « sensiblement personnel » que sur l’échelle toujours un peu pourrie de la cotation littéraire.

Bizarrement, je n’ai jamais osé remettre le nez dedans. Je l’ai refermé, voulant sans doute garder intacte ma première sensation. Il reste pour moi le chef-d’œuvre de mon « équinoxe » de la quarantaine.

Alors, vous avez vraiment vu très juste en posant la question si , en citant un tel ouvrage, de façon inopinée, anodine, ça n’était pas une certaine image de moi, fugace, que je voulais transmettre. Je n’en avais pas pris l’exacte mesure et je vous dois cet éclaircissement.

Cependant, j’ai un père plus incontesté encore en écriture. Le maître. Celui qui me poursuit partout et duquel j’essaie cependant de calmer les ardeurs. Oui, il s’invite souvent sous ma plume et je dois quelquefois l’en chasser. Il me ferait trop d’ombre.

Vous l’avez sans doute deviné, il s’agit de Maupassant, d’ailleurs également nommé dans Zozo… Et j’ai été ému, touché, à l’époque, par la critique de Jean-Louis Kuffer qui disait, sans ne rien savoir de cette filiation, qu’il y avait dans mon livre un goût de Maupassant . Comme quoi, quand on a affaire à des lecteurs de cette envergure, il n’y a pas de secret qui ne puisse être mis au jour.

Et à propos de Jean-Louis Kuffer, je m’éloigne un peu, cher Roland, pour vous dire que je suis en train de lire un de ses livres Le Viol de l’ange, un livre étrange, troublant, très, très original.

J’en reparlerai sans doute sur l’Exil des mots.

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J’aurais voulu vous entretenir également d’un tout autre sujet mais j’ai été un peu long. Ce sera donc pour la semaine prochaine.

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En tout cas, merci pour cette correspondance et la qualité de votre lecture.

Portez-vous bien et amitiés polonaises

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Bertrand
PS : Merci également pour cette magnifique photo de Vailland qui m'évoque spontanément un passage, sur la souplesse de sa DS....

jeudi 20 mai 2010

LETTRES #3

Bonjour Bertrand

On retient souvent, comme ça, des idées, des bribes d’idées même, dont on a oublié la provenance. Qui a dit qu’un grand livre n’est qu’une conversation tenue par un vivant avec un autre grand livre, écrit par un mort ? Ne sais plus trop. En tout cas, si les lecteurs ont souvent l’impression de se repérer dans un texte qu’ils découvrent grâce à leurs lectures antérieures, ne serait-ce pas parce que les écrivains leur en ont donné l’habitude en rendant souvent hommage, dans leurs textes, à ceux qui les ont précédés, et dont ils portent la trace ? Dans Zozo Chômeur éperdu, j’avais relevé des allusions explicites à Raboliot et à La dernière harde, romans de Maurice Genevoix. Dans Géographiques, vous citez plusieurs auteurs, mais c’est sur la figure de Roger Vailland, dont vous évoquez deux titres, La Fête et Les Mauvais coups que je voudrais m’arrêter. Il y a dans ces deux cas un doigt pointé vers, une invitation de lecture, même. Certes. Mais les liens que vous établissez entre vos textes et ceux de Genevoix ou Vailland ne cachent-ils pas autre chose ? N’ont-ils pas pour raison une image intime que vous avez de ces auteurs, voire de ces figures humaines ? une image intime, aussi, qu’ils vous ont tendu de vous, ou encore une image de vous que vous souhaitez porter jusqu’à vos lecteurs ? Une image, pour aller jusqu’au bout de ma pensée, liée à un certain refus, et à une certaine joie de vivre ? Oh, je sens bien que je deviens indiscret. Mais l’indiscrétion n’est-elle pas la raison d’être de toute correspondance ?

Je vous dis tout cela parce que je me suis pour ma part fabriqué une sorte de père idéal en littérature, et puis aussi quelques frères ou sœurs de routes, et puis quelques bons copains, et mêmes toute une pléiade d’oncles, de tantes et de cousins.. Et ces formes d’empathies, si chimériques fussent-elles, se sont toujours révélées, à l’examen, plus signifiantes que je ne le croyais de prime bord. Ce Genevoix, ce Vailland, dont je ne résiste pas au plaisir de vous glisser une photo dans l’enveloppe[1], Zozo et Géographiques auraient-ils existé pareillement en vous si vous ne leur aviez pas explicitement rendu hommage ? Je vous autorise, et avec moi tous ceux qui liront cette lettre, à nous parler d’autre chose si vous le souhaitez. De l’euro qui fait du yoyo, de la coupe du monde qui pointe le bout de son nez, ou de l’intérim présidentiel en Pologne dont pour vous dire la vérité nous ne savons pas grand-chose en France. Cependant, entre nous, qu’y a-t-il de plus intéressant, quand on s’intéresse de près à l’écriture, que ce type de relations – et de motivations profondes –, par lesquelles nous nous mettons, d’une certain façon, au monde ?

Mes amitiés lyonnaises, mon cher Bertrand.

Au plaisir de vous lire.

Roland


[1] Photo : Vailland au volant par Marc Garanger.