samedi 2 octobre 2010

LETTRE # 20

Cher Bertrand

Chance de reprendre notre « correspondance » sur Non de Non autour de cette question du pape ! Ne suscite-t-elle pas entre nous non pas des désaccords, mais des divergences, ce qui est fort stimulant ? Je me souviens m’être surpris à penser que nos lecteurs du printemps devaient parfois s’ennuyer à nos lignes, tant nous étions souvent d’un avis commun sur beaucoup de choses.

Vous me dites que vous ne feriez pas, vous, l’amalgame entre les « croyants dispersés dans le monde sous l’égide de tel ou tel dieu » et l’extrémisme religieux. Je ne le ferais pas non plus Faut-il, pour autant, ne pas voir qu’il y a un lien de continuité entre les deux ? Pas d’amalgame, soit, mais un lien de continuité, oui. Si je vous accorde que tous les croyants ne sont pas fanatiques, accordez-moi qu’il faut bien croire en une sorte de transcendance pour se livrer à des actes fanatiques, non ? Je rajouterai même que pour l’heure, dans une religion maquée avec le politique comme l’est l’Islam (voyez ce qui se passe en Algérie, au Pakistan, pour ne pas parler de l’Iran) le fanatisme y est bien davantage visible qu’au sein-même du christianisme, du bouddhisme ou même de l’hindouisme, religion pourtant particulièrement violente intrinsèquement.

De la même manière, ne me choque pas cette façon qu’a le pape d’établir ce lien de continuité (pas d’amalgame là non plus, évidemment) entre l’athéisme purement philosophique et toutes les idéologies qui, niant toute transcendance à l’édifice social, ont pu en se radicalisant devenir extrêmes et tout aussi terroristes que le furent en leur temps les tribunaux de l’Inquisition – et voire même pires n’ayant (c’est le cas à chaque génocide) plus même besoin de se justifier devant le moindre dieu. Vous m’objectez que l’athéisme peut nourrir en soi une éthique capable de freiner les débordements les plus ignobles de la nature humaine. Hélas je ne crois pas à cela. Il faudrait croire à la bonté naturelle de l’homme, ce que les Lumières ont postulé, mais les idéaux des Lumières ont montré leur limite dès le romantisme. Pourquoi voulez-vous que l’homme sans Dieu soit meilleur que l’homme avec Dieu ? La foi dans le progrès, l’idée que le bonheur humain était à la portée de l’esprit, le scientisme et tout ce qui en a découlé, en a aussi montré les limites, comme la nécessité de contrôler les foules non plus par la superstition et la force, mais par la démagogie et le spectacle. Non, les athées ne sont pas meilleurs que les religieux lorsqu’en loges maçonniques plutôt qu’en temples ou en églises, ils prétendent à la gouvernance mondiale. Car ils sont hommes, voilà tout. Voilà ce que je pense au plus profond de moi-même.

Quant au nazisme, n’a-t-il pas été l’opération la plus aboutie pour couper l’Europe de sa source et de son histoire judéo-chrétienne, afin de l’expurger de tout sentiment humaniste ? L’aryanisme d’Hitler, dans la foulée du pangermanisme de Guillaume II, n’a cherché qu’à imposer la loi de son empire, et ce dernier se fondait sur la destruction de tout sentiment religieux autre que le culte de sa propre force. Le concept même de génocide, le prouve bien. Qu’il ait, malgré sa défaite militaire, en partie réussi, que les « démocraties occidentales » ne se gênent parfois que modérément pour reprendre ses méthodes, n’y changent rien.

Que Benoit XVI parle de l’athéisme comme d’une « vision tronquée de l’homme et de la société » ainsi que d’une « vision réductrice de la personne et de la destinée » ne me parait non plus en rien étonnant : de quoi, pour un croyant, la vision de l’homme ou de la personne est-elle tronquée, réduite, dans un point de vue athée, sinon de toute transcendance, évidemment ? N’est-ce pas justement la transcendance que l’athéisme nie ? Pouvez-vous me dire le contraire ? Ainsi, que l’absence de transcendance apparaisse aux yeux d’un pape comme une mutilation n’a rien de très étonnant.

J’en arrive à ce que je constate, moi, profondément : la société a besoin d’autorité (les Romains l’avaient bien établi) ; la société a besoin de transcendance (les chrétiens l’avaient bien compris). Tout ceci nécessiterait de grands développements, bien entendu : je parle de l’autorité au sens où Hannah Arendt la définit comme une « augmentation du pouvoir », non comme de l’autoritarisme démagogique ou violent. Je parle de la transcendance incluant la conscience de sa propre mort et celle de sa foi, non pas de superstitions ou de pensée naïve. En tout cas dans le concert du monde actuel, il serait à mon sens désastreux que le pape, dont la fonction est d’incarner tant bien que mal l’autorité de cette transcendance, se mît à tenir un langage adapté à la société moderne, à ses enjeux, ses attentes ou à ses ténors politiques de quelque bord. Si même les idéaux de sa personne l’y poussait soudain, puisse sa fonction le retenir ! Voilà pourquoi, sur la question caricaturale des capotes où certains auraient souhaité que le pape en vînt finalement (encourageant implicitement l’adultère, quand le mariage est un sacrement) à cesser d’être pape, comme sur celle-ci qui nous occupe à présent, vous me trouverez évidemment non pas forcément du côté du pape, mais du côté de ce qui me semble être, dans un monde en multiples crises télécommandées, les exigences de la raison.

Amicalement

Roland

2 commentaires:

  1. Voilà un débat captivant que vous lancez là, tous les deux. Mille réflexions me viennent à l’esprit. Je vais essayer d’en éclaircir quelques-unes.

    La première est qu’il ne faut pas oublier, Roland, que pour des types comme moi, le pape ne représente rien du tout. Le dieu dont il est le soi-disant porte-parole est tout aussi réel, à mes yeux, que le Père Noël ou le Dahu… Et si demain, un illuminé prétend me dire, au nom du Père Noël, comment je dois manger, vivre, aimer et mourir, cela me fera bien rigoler… Donc déjà, il y a un problème lorsque tu parles de position « d’autorité ». Je ne suis pas contre cette idée d’autorité, qui mériterait d’être développée, mais s’il y a un gus sur terre qui, selon moi ne peut pas la représenter, c’est bien le pape. Un grand garçon de son âge qui croit encore au Père noël, non, ce n’est pas sérieux…

    Parler d’extrémisme athée, aussi, cela me laisse songeur… L’athéisme, par nature, c’est le refus de la croyance en dieu. Par une extension chère à Palante, qui parlait « d’athéisme social », c’est le refus de toutes les croyances, de tous les préjugés, de toutes les fictions et de toutes les idées toutes faites. L’athéisme, oui, c’est le refus de toute « transcendance », justement pour laisser la place à la « lucidité ». Partant de là, je vois mal comment une notion d’extrémisme peut être associée à celle d’athéisme : on ne peut pas ne pas croire « extrêmement » en dieu. C’est absurde. Après, que certains athées, qui sont aussi des hommes, commettent des saloperies, c’est évident, mais je n’y vois pas ce lien de continuité que tu décris, Roland.

    C’est pour cela que j’estime qu’essayer d’associer Nazisme et athéisme, comme le fait le pape, relève de la malhonnêteté intellectuelle. L’idéologie nazie était un fourre-tout extrêmement complexe dans lequel on retrouvait des traces de plein de pensées : de l’athéisme, sans doute, mais aussi du christianisme, du folklorisme teuton, du socialisme, de l’antisémitisme et de l’anticommunisme, du nationalisme et de l’impérialisme… Bref. On peut rattacher le nazisme un peu à tout ce qu’on veut (Onfray, par exemple, voit dans le nazisme une continuité du christianisme et estime que Hitler a beaucoup été influencé par Saint Paul…). D’autres, on l’a vu sur ce blog, jugent qu’un des principaux inspirateurs du nazisme, c’est Nietzsche... Tout ceci est absurde et dangereux. Les principaux coupables des crimes nazis, ce sont Hitler, Himmler, Goebbels, Goering e compagnie et toute tentative de rechercher ailleurs des responsables ne peut que nous détourner du problème…

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  2. Sur la question de l’autorité, je précisais bien que j’entendais celle du pape comme une autorité historique (pas un autoritarisme que tout le monde se devrait d’accepter), au sens quasi romain du terme, tel que Arendt le définit dans son chapitre « qu’est-ce que l’autorité » dans la crise de la culture. On ne peut nier l’existence du christianisme et de la tradition qu’il incarne : comment peut-on attendre d’un pape qu’il encourage, par exemple, le port des capotes (ce qui revient à admettre implicitement l’adultère) alors qu’il incarne une tradition qui considère le mariage comme un sacrement ? Que la parole du pape n’ait pas vocation à être admise de tous, mais c’est heureux ! Une parole du pape n’est qu’une parole de pape ; encore faut-il que ce pape incarne la tradition dont il relève et ne soit pas un artefact modernisé de pape. Pour le dire en un mot, je ne crois pas qu’une novlangue papale soit possible.
    La question de la naissance historique du nazisme, je l’avoue, me dépasse. Sans doute a-t-il partie prenante, en effet, avec toute sorte d’extrémismes, à quoi se rajoute une situation économique désastreuse.
    Mais concernant l’extrémisme, je demeure persuadé qu’il existe un extrémisme religieux comme il existe un extrémisme athée, l’un et l’autre se fondant non pas sur une croyance extrême ou une non croyance extrême (ce qui situerait le débat sur un terrain philosophique), en effet, mais sur un désir d’exterminer soit la croyance en dieu, soit la non-croyance en dieu de la société (en se situant sur un terrain politique). Qu’on se rappelle des fureurs de l’Eglise contre les athées sous l’ancien régime, qu’on se rappelle des pillages et destructions de couvents par des révolutionnaires. C’est la volonté du gouvernance du monde qui dans les deux cas crée ce lien.
    Pour en revenir au propos du pape qui parle du nazisme comme d’une « tyrannie qui cherchait à éliminer Dieu de la société », c’est bien en tout cas ce qu’il affirme. Comme on pourrait définir l’extrémisme religieux comme une volonté « d’éliminer l’athéisme religieux de la société » (cf. ce qui se passe avec le gouvernement algérien traduisant en justice des citoyens n’ayant pas suivi le ramadan (et peut-être même pas athées d’ailleurs…).

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