mercredi 30 juin 2010

LES HEROS DE L'ANARCHIE : STIRNER

BILL TEREBENTHINE PRESENTE :

les héros de l’anarchie

3 - Max Stirner

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As-tu déjà vu un Esprit ? – Moi ? non, mais ma grand-mère en a vu. – C'est comme moi : je n'en ai jamais vu, mais ma grand-mère en avait qui lui couraient sans cesse dans les jambes ; et, par respect pour le témoignage de nos grands-mères, nous croyons à l'existence des esprits.

Mais n'avions-nous pas aussi des grands-pères, et ne haussaient-ils pas les épaules chaque fois que nos grands-mères entamaient leurs histoires de revenants ? Hélas ! oui, c'étaient des incrédules et ils ont fait grand tort à notre bonne religion, tous ces philosophes ! Nous le verrons bien par la suite !

Qu'y a-t-il au fond de cette foi profonde dans les revenants, sinon la foi dans l'existence d'êtres spirituels en général ? Et la seconde ne serait-elle pas déplorablement ébranlée, s'il était établi que tout homme qui pense doit hausser les épaules devant la première ?

Les Romantiques, sentant combien l'abandon de la croyance aux esprits ou revenants compromettrait la croyance en Dieu même, s'efforcèrent de conjurer cette conséquence fâcheuse ; dans ce but, non seulement ils ressuscitèrent le monde merveilleux des légendes, mais ils finirent par exploiter le « monde supérieur » avec leurs somnambules, leurs voyantes, etc.

Les bons croyants et les Pères de l'Église ne soupçonnaient guère que, la croyance aux revenants s'effondrant, c’était le sol même qui se dérobait sous la Religion, désormais flottante et sans appui. Celui qui ne croit plus à aucun revenant n’a qu’à être conséquent avec lui-même pour que son incrédulité le conduise à s'apercevoir qu'il ne se cache derrière les choses aucun être à part, aucun revenant, ou (pour employer un mot dont on a naïvement fait un synonyme de ce dernier) – aucun Esprit.

« Mais il existe des Esprits ! » Contemple le monde qui t'entoure, et dis-moi si derrière toute chose ne t'apparaît pas un Esprit. La fleur, l'humble fleur te dit l'Esprit du Créateur qui en fit une petite merveille ; les étoiles proclame l'Esprit qui ordonne leur cours ; un Esprit de sublimité plane au sommet des monts ; l'Esprit de la mélancolie et du désir murmure sous les eaux ; – et dans les hommes parlent des millions d'Esprits. Que les montagnes s'affaissent, que le monde des étoiles tombe en poussière, que les fleurs se flétrissent et que meurent les hommes, que survit-il à la ruine de ces corps visibles? L'Esprit, invisible, éternel ! Oui, tout dans ce monde est hanté ! Que dis-je ? Ce monde lui-même est hanté ; masque décevant, il est la forme errante d'un Esprit, il est un fantôme.

Qu'est-ce qu'un fantôme, sinon un corps apparent, mais un Esprit réel ? Tel est le monde, « vain », « nul », illusoire apparence sans autre réalité que l'Esprit, dont il est l'enveloppe visible. Regarde : ici, là, de toutes parts t’entoure un monde de fantômes ; tu es assiégé sans cesse de visions, d’« apparitions ». Tout ce qui se montre à toi n'est que le reflet de l'Esprit qui l'habite, une apparition spectrale ; le monde entier n'est qu'une fantasmagorie derrière la quelle s’agite l’Esprit. Tu « vois des Esprits ».

Vas-tu peut-être le comparer aux Anciens, qui voyaient : partout des dieux ? Les dieux, mon cher Moderne, ne sont pas des Esprits ; les dieux ne réduisent pas le monde à n'être qu'une apparence et ne le spiritualisent pas.

À tes yeux, le monde entier est spiritualisé ; il est devenu un énigmatique fantôme ; aussi ne songes-tu même plus à t'étonner de ne trouver en toi qu'un fantôme. Ton Esprit ne hante-t-il pas ton corps et n'est-il pas, lui, le vrai, le réel, tandis que ton corps n'est qu'une « apparence », quelque chose de périssable et « sans valeur » ? Ne sommes-nous point tous des spectres, de pauvres êtres tourmentés qui attendent la « délivrance » ? Ne sommes-nous pas des « Esprits »?

Depuis que l'Esprit a paru dans le monde, depuis que « le Verbe s'est fait chair », ce monde spiritualisé et livré aux enchantements n'est plus qu'une maison hantée.

Max Stirner

Illustration : Bill Térébenthine

L’unique et sa propriété, chapitre Les Possédés (extrait)

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