jeudi 1 juillet 2010

LETTRE # 15

Cher Roland,

Le temps sur la Pologne de l’est est redevenu radieux, voûte au dessus de la plaine et des forêts d’un bleu qui n’aurait rien à envier aux cartes postales, brise légère et soleil au zénith.

Un temps de vacances. Mais ici point de ruées sauvages des bermudas et des jeux de boule, point de longues files d’attente pour aller se griller la couenne sur le sable, point de stands de chichis huileux, crêpes et autres barbes à papa pour touristes ventripotents.
À peine si, au cours de l’été, un ou deux farfelus venus de l’Hexagone viendront sur ces frontières méconnues, humer un peu l’air continental, le plus souvent sur les traces du passé tumultueux de ces contrées.
Certains à la recherche de leur propre mémoire, un lointain grand-père, ou une grand-mère, ayant vécu dans ce pays dont ils ne savent rien…Avant le grand cataclysme. Les Polonais, quant à eux, ceux qui auront les moyens de partir en vacances, rejoindront le nord du pays, le sable blanc de la Baltique ou alors, carrément à l’opposé, l’ombre des Carpates et, pour les plus aventureux, l’Adriatique ou la Mer noire. Moi, je ne rejoindrai rien ni personne. J’attendrai patiemment les lumières obliques de septembre, ma saison de prédilection, puis octobre pour rejoindre la France pendant une dizaine de jours.
Cette longue introduction pour faire écho à votre fin de lettre de la semaine dernière réclamant gentiment un sujet un peu plus gai que nos échanges précédents. Et justement, je veux vous raconter une anecdote de vacances. Je veux vous la raconter parce que, nous qui ne croyons plus guère aux sentiments humains, qui fustigeons avec juste raison l’ambiance délétère et souvent crapuleuse des relations humaines, c’est une anecdote de l’optimisme.

Il est vrai qu’elle me survînt voici une vingtaine d’années…Mais bon…Elle tend néanmoins à prouver qu’il y a encore du beau monde sur terre.

C’était donc en 1990, je crois. J’allais rejoindre des copains qui campaient à Pralognan-La-Vanoise, vous connaissez sans doute, dans les Alpes. Je m’y rendais à bord d’une Simca 1300, voiture assez confortable, ma foi, mais dont on m’avait dit, à moi qui n’y connais rien du tout, que ces voitures-là n’étaient pas très indiquées pour la montagne, qu’elles avaient tendance à « chauffer » et que le joint de culasse était fragile. Je savais vaguement qu’un joint de culasse cassé, ça faisait bouillir la marmite et ça finissait par tout déglinguer dans le moteur. Mais bon, ça n’était pas obligatoire que ce foutu joint cassât justement dans ma voiture et pendant mes vacances, toutes montagnardes qu’elles fussent.

Hélas ! Hélas ! Voilà qu’escaladant le dernier col, pas très loin de ma destination finale, l’aiguille se porta soudain jusqu’aux 100 degrés. Je stoppai. J’allai vérifier sous le capot. Ça bouillait de partout là-dedans…Impossible de continuer…Mes vacances commençaient par un cauchemar.

Je laissai refroidir ce foutu moteur et refis le plein du radiateur avec de l’eau puisée sur le bas-côté de la route, de l’eau qui ruisselait des rochers. Je fis deux cent mètres, même chose, même remède et et cætera.

Je vous laisse imaginer ma colère et mon dépit…Je me voyais contraint de rejoindre coûte que coûte un garage, de faire réparer et, vu mon budget, d’annuler toute ma villégiature.

Une voiture s’arrêta cependant à ma hauteur et le chauffeur, un autochtone, apercevant le panache de fumée blanche qui sortait de dessous le capot levé, me renseigna qu’il y avait un garage à 1 Km environ, dans un tout petit hameau. Je réussis effectivement à rejoindre le susdit garage. Il était tout petit, pas très en ordre, accroché au flanc de la montagne et il y avait là deux ou trois véhicules en réparation. Pas plus.

Je fulminais. J’enrageais. Je faisais déjà des plans pour abandonner là ma voiture, rentrer en stop et revenir plus tard la récupérer… J’interpellais donc le garagiste qui venait tout sourire à ma rencontre…Ce sourire m’énerva encore plus et je lui dis sur un ton pas du tout aimable que le joint de culasse était cassé, que c’était la chienlit et que…

Il était un homme maigre, entre deux âges, et, comme tous les garagistes du monde, il m'écoutait en s’essuyant les mains, qu'il avait à peu près propres, avec un chiffon on ne peut plus dégueulasse .

Il me répondit alors, très calme : Le joint de culasse ? Oh, là, oh, là, pas si vite ! Pas si vite ! On va voir ça… Oui, on allait voir…Pour moi, c’était déjà tout vu et je faisais déjà des calculs désastreux dans ma pauvre tête.

Le garagiste souriant se pencha sur le moteur, examina, défit quelque chose, bricola, refit le plein d’eau et me dit, bonhomme, que je pouvais y aller. C’était le thermostat qui était coincé. Il l’avait enlevé. Il n’y avait plus de problème.

J’étais métamorphosé.

Ce que je devais ? Mais rien, voyons, pour une bricole pareille, et bonnes vacances !

Moi, le parano, l’anti-marchand, le pourfendeur d’une société de voleurs et d’escrocs, j’en étais sur le cul…Cet homme, visiblement un pauvre, un qui n’était pas surchargé de travail, qui galérait sans doute, tenait entre ses griffes une proie toute cuite et il la laissait partir en lui souhaitant bon vent !

J’en ai été ému jusqu’aux larmes, Roland…Et jamais je n’ai oublié cet homme. J’y repense même souvent. Je le cite parfois dans une conversation.

Où qu’il soit, je lui souhaite toujours tout le bonheur possible.

Il a été pour moi un contre-exemple et je suis fier de le tirer, même anonymement, de l’ombre pour lui rendre dans cette lettre, honneur et fraternité.

Cet homme, cet inconnu, avait été tout simplement honnête et humain. Il avait été normal dans une société basée sur l’anormalité.

Amitiés et….Bonnes vacances, cher Roland !

Bertrand

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