jeudi 8 juillet 2010

LETTRE #17

Cher Roland,

C’est donc, si j’en m’en réfère à votre lettre de la semaine passée, à un homme momentanément libéré de ses obligations et devoirs professionnels que j’écris aujourd’hui.

Et j’en suis bien content pour vous. Vous avez maintenant rendez-vous avec le repos du guerrier, le vrai, pas le roman, et…Balzac.

Vous le savez : le dernier livre que j’ai lu de Balzac est un monument, que dis-je ?, une cathédrale de la littérature, les Paysans, mais savez-vous, à ce propos, que ces deux corniauds d’Engels et Marx avouaient qu’ils avaient plus appris sur la société française et sa paysannerie avec ce livre que dans tout ce qu’ils avaient pu apprendre – ou supputer car ils étaient surtout les génies de la supputation – par ailleurs.

C’est donc le livre que je vous conseille pour une lecture ou une relecture cet été. Un ouvrage fabuleux, sur lequel j’aimerais bien échanger avec vous…

J’ai relu aussi Splendeurs et misères des courtisanes… Un autre chef-d’œuvre de la Comédie humaine. De ces chefs-d’œuvre, oui, qui passent certainement à la barbe naissante de vos chérubins guignant le prestigieux diplôme (sourire désabusé).

Et me revient alors en mémoire, en vous lisant, une mésaventure que me raconta avec beaucoup d’humour Denis Montebello, mésaventure qui lui advint alors que, tout comme vous, il était astreint aux oraux du baccalauréat, il y a une dizaine d’années.

Moi, elle m’a fait tordre de rire, cette histoire, et vous verrez que votre candidat en tongues et en short qui a écopé d’un 4/20 était peut-être un ange à côté de celui dont je vais vous parler.

Surgit en effet devant Denis un candidat libre, militaire de son état….Un militaire libre…Rien à redire là-dessus. Un qui voulait peut-être monter en grade. Je n’en sais rien…Ou qui en avait marre de se faire traiter d abruti. Je n’en sais rien non plus.

Bref. Toujours est-il que Denis interrogea le pioupiou-candidat sur L’Ode à Cassandre de Ronsard…Celui-ci, le Pioupiou, pas Ronsard, déclara alors en se grattant la barbe, comme plongé dans une profonde cogitation (on avait dû lui dire que c’est comme ça qu’il fallait faire pour avoir l’air d’un intellectuel qui passe son bac) :

- Voyons, voyons, le poète a vers…vers…Disons quarante ans…

- Oui ….C’est bien possible…

- Elle, la fille, elle a peut-être seize ou dix huit ans…Voilà l’topo !

- Mais encore ?

- Comment ça, mais encore ?

- Que voulez-vous dire exactement ?

- Ben, j’vais pas vous faire un dessin, hein… I veut s’l’a faire, tiens, pardi ! Alors, il lui écrit une belle lettre qui dit tout ça poliment…

- Humm, humm… (raclement gêné de la gorge) Mais pensez-vous que ce soit là une raison suffisante pour que le poème ait traversé quatre siècles de mémoire ?

- Ça, j’en sais rien…Mais ça se voit qu’i veut s’la faire !

Je ne me souviens plus de la note obtenue par tant de franchise désarmante. Ce dont je me souviens en revanche, c’est d’avoir dit à Denis que ce gars-là aurait finalement mérité une très bonne note s’il avait passé une épreuve d’histoire parce qu’il était tombé en plein dans le mil sur les profondes motivations de Ronsard…

Mais il méritait aussi un zéro pointé parce qu’il avait oublié qu’il passait là une épreuve de littérature.

À méditer, mon cher Roland…

Et bien amicalement à vous.

Bertrand

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