Ah, le foot ! La coupe du Monde ! Et tout ce qui va avec… Difficile de passer à côté. On en parle bien assez comme ça me direz-vous… Trop, même ? C’est possible… Alors pourquoi en rajouter une couche avec cet article ? Tout simplement parce que cette Coupe du Monde, par delà sa dimension purement sportive, est quand même un merveilleux miroir grossissant de presque tout ce qui dysfonctionne dans nos sociétés ! Et qu’on serait bien bête de se priver d’un tel exemple...
Ainsi, un des thèmes qui reviennent le plus souvent dans le feuilleton tragi-comique que nous a joué l’équipe de France, durant ce mondial, c’est celui de l’argent. Et du même coup, bien sûr, celui de son corolaire : l’idée de valeur.
« Avec tout ce qu’ils gagnent ces zozos là, ils pourraient quand même faire preuve d’un peu plus de bonne volonté pour courir derrière la balle » ; « Les joueurs sont-ils trop payés ? » ; « Vu ce que ces sportifs gagnent, ils devraient au moins essayer de donner du plaisir aux supporters »… Phrases récurrentes. Phrases étonnantes aussi. Car elles tendent insidieusement à valider le fait qu’il y a un quelconque lien entre l’activité des footballeurs et les sommes qu’ils gagnent. Un rapport de cause à effet. Un peu comme pour nos salaires à nous autres, gens normaux. Ainsi, si on travaille un mois, on est payé pour cela entre 1000 et 3000 €, en fonction – paraît-il – de la difficulté, de la pénibilité du travail demandé et du niveau de qualification et de compétence requis pour l’exercer. Certains vont au-delà : 5000, 10.000 €, mais bon, tout cela reste dans des ordres de grandeur concevables. Discutables, certes, mais concevables.
Mais là…
Vous rendez-vous compte que pour gagner ce que touche en un an un joueur moyen de l’équipe de France, un brave smicard (car le smicard est toujours brave) devrait travailler cinq-cents ans ! Cinq siècles ! C’est à peine si on arrive à se projeter aussi loin dans le futur. C’est presque aussi impressionnant quand on se retourne en arrière. Cinq siècles en moins, ça nous ramène à 1510, juste avant le règne de François 1er ! Vous vous rendez compte ? À ce niveau là, la question n’est même plus de savoir si, vu de ce qu’ils gagnent, les footballeurs devraient faire preuve de meilleure volonté sur le terrain ou être un peu plus souriants avec leur public. Si le monde dans lequel nous vivons fonctionnait normalement, le simple fait de savoir qu’un gus, en tapant dans un ballon, ramasse chaque heure ce que d’autres gagnent en un mois, devrait mettre un terme immédiat à la Coupe du Monde, pour ne parler que d’elle. Comment voulez-vous que des notions comme celles de « dignité », « d’’honneur » de « sacrifice » parlent à des types qui sont à ce point déconnectés de la réalité ? Et en plus, j’ai effectué mes calculs sur la base d’un smic français. Comme l’événement se déroule sur le sol africain, j’aurais pu prendre appui sur le salaire moyen de pays comme le Cameroun ou le Soudan (entre 100 et 300 €) : on n’aurait alors plus parlé en siècles, mais en millénaires !!! De quoi remonter jusqu’à l’érection des Pyramides d’Égypte, pour poursuivre dans notre mode de comparaison rétroactif…
La question n’est donc pas de savoir si les footballeurs sont trop payés, mais de comprendre comment une société peut en arriver à s’organiser ainsi. Je sais bien que les économistes sont là pour nous rappeler que si les footballeurs sont si bien rémunérés c’est qu’ils génèrent des richesses encore plus exorbitantes dont ils ne touchent en fait qu’une infime partie. Toujours la même chanson : heureusement que les nantis sont nantis car ce sont eux qui font marcher l’économie… mais au bénéfice de qui ?
Moi je vois tous les jours des types qui survivent avec 400 € par mois et qui doivent aller montrer patte blanche tous les quatre matins à Pôle Emploi ou au service social pour justifier du fait qu’ils ont toujours besoin de leurs allocations. Je vois des familles qui doivent mendier auprès des associations caritatives, CCAS et autres services sociaux les quelques dizaines d’euros qui leur permettront de pouvoir de nouveau être alimentées en eau ou en électricité. Et combien de familles obligées d’aller faire la queue aux banques alimentaires pour récupérer quelques patates, des couches pour les enfants ou du lait pour le biberon. Tout ça pour pouvoir continuer à payer leur loyer ? Et de plus en plus souvent, ces individus là travaillent, ils ont suivis des études, des formations. Ils respectent les lois, font de leur mieux pour ne pas se faire remarquer. Ils ont même parfois été artisans, chefs d’entreprises. En quoi ont-ils failli tous ces gens là ? Qu’ont-ils fait pour mériter de vivre ainsi ? Comment expliquer que même en vivant mille ans ils ne récolteraient pas le cinquième des primes que les joueurs de l’équipe de France devaient toucher après leur déroute sud-africaine ? Un homme ne vaut-il pas un homme dans le pays des Droits de l’Homme ? Non. Si on parle en termes de richesse, un Ribéry ou un Henry pèsent à eux deux le poids de 1000 à 2000 travailleurs pauvres… Et ces exemples footballistiques d’injustice sociale ne sont que des gouttes d’eau dans l’océan des injustices économiques. On le voit bien en ces temps où tous nos petits joueurs de la sphère politiques se font prendre les uns après les autres la main dans le sac… Mais quand s’élèvera-t-il enfin celui qui aura le courage de clamer que la devise Républicaine « Liberté Égalité Fraternité » n’a aucun sens et que le premier devoir civique digne de ce nom, aujourd’hui, devrait consister à détruire tous les édifices qui osent afficher cet indigne slogan sur leurs façades. Indigne non pas parce qu’il n’est pas respectable : mais parce qu’il n’est pas respecté.
Le plus triste, dans tout ça, c’est que toutes ces femmes et tous ces hommes qui galèrent au quotidien pour glaner de quoi survivre à court terme n’en veulent même pas au système qui les broie. Ils sont les premiers à admirer les footballeurs, quand ils sont bons et qu’ils gagnent des matchs. Sans doute par ce qu’au fond ils ne sont même pas capable d’imaginer qu’on puisse gagner réellement autant d’argent. Peut-être aussi parce qu’ils ont compris que le plus important, ce n’est pas d’être riche, mais d’avoir encore le privilège de rêver.
Stéphane Beau
« La grandeur de l’espérance est dans le doute qu’elle contient », disait Chardonne.
RépondreSupprimerPascale
Ah là, tout de suite, tu hisses le niveau ! Merci
RépondreSupprimer(sourire)
RépondreSupprimerPascale