Après un recueil de nouvelles publié en mars dernier par la revue Le Grognard, Frédéric Saenen est de retour avec un Dictionnaire du Pamphlet (éditions Infolio, collection Illico).
L’ouvrage commence par une présentation de la littérature pamphlétaire, en France, sur une période allant, en gros, de la révolution de 1789 à nos jours. Le premier constat fait par Frédéric Saenen est qu’il n’est pas si simple de définir précisément ce qui caractérise le pamphlet, cette « croisade de papier menée contre », qui doit résulter de la parfaite alchimie entre un contexte politique ou social précis et une individualité capable de s’élever contre ce contexte, à ses risques et périls, et d’énoncer son point de vue avec force, style et conviction… D’où il ressort au passage que dessiner la figure du pamphlétaire n’est guère plus commode. Car même si Frédéric Saenen laisse humoristiquement planer l’idée qu’un jour, en « confrontant l’ADN d’une rognure d’ongle de Zo d’Axa avec un cheveu de Léo Taxil », on pourra peut-être identifier « le gène pamphlétaire », en attendant, il est impossible de tracer le portrait-type de ces déroutants auteurs capables de réaliser « le grand écart entre les Idées, la Vérité, la Justice, le Peuple, la Littérature et [le] Moi ».
La liste des auteurs et penseurs retenus par Frédéric Saenen dans son dictionnaire est par conséquent parfaitement subjective, comme il le reconnait lui-même. C’est ainsi que certains noms m’apparaissent occuper ici une place discutable. Je ne sais par exemple pas si quelqu’un comme David Bosc mérite déjà de se retrouver dans ce genre de compilation avec une notice plus longue que celles consacrées à Zo d’Axa ou à Barbey d’Aurevilly. De la même manière, j’aurais aimé retrouver les noms de Victor Serge, d’Albert Libertad, de Han Ryner… Peu importe, car l’objectif n’était pas d’être exhaustif, mais bien de pointer le doigt sur un mode de contestation qui a réussi, qu’on le veuille ou non, au fil des décennies, à se créer de véritables lettres de noblesse.
Ce qu’il m’importe par contre de signaler ici, c’est que bien qu’étant très instructif et agréable à consulter, ce Dictionnaire du Pamphlet nous pose quand même une grande question : comment se fait-il que, depuis le temps que des hommes et des femmes s’élèvent pour dénoncer la folie des puissants et les aberrations du système… le système soit toujours aussi aberrant et les puissants aussi fous ! Quand on voit que la plupart des pamphlets qui ont été écrits en 1900 sont toujours d’actualité, on est en droit de se demander si les pamphlétaires et autres empêcheurs de penser en rond servent réellement à quelque chose. Et partant de là, si la notion même de « critique » garde encore un sens. Quand on voit l’intelligence, la virulence et la perspicacité des individus qui se sont échinés à glisser des bâtons dans les roues d’un monde que rien ne perturbe, il y a de quoi désespérer.
Alors quoi ? Quelle solution ? Baisser les bras ? Ou continuer à crier notre révolte sur tous les tons, et par tous les moyens possibles (l’Internet ouvrant pour cela des possibilités que n’avaient pas nos prédécesseurs) ? Frédéric Saenen ne répond bien sûr pas à cette question : ce n’est pas son propos. Il n’empêche que son livre, sous son air bonhomme et académique, est sur ce point fichtrement dérangeant… et pour cela même, parfaitement bienvenu !
Stéphane Beau
Dictionnaire du Pamhlet, Frédéric Saenen, éditions Infolio, 2010
C'est une question récurrente que tu soulèves dans ta critique de ce livre que je voudrais bien, ma foi, lire...
RépondreSupprimerça sert à quoi ? A pas grand chose, sinon à se faire plaisir. Le monde s'en fout des pamphlétaires et des écrits subversifs...
Pendant qu'on fait ça, on ne fait pas trop de bêtises et c'est pas la sortie d'un livre révolutionnaire qui va faire trembler les marchés et la bourse.
Des marchés et des bourses, ça se fait trembler à coups d'insurrection armée et de blocage du système, pas à coups de claviers.
Il faudrait que nous-autres tous, à mon avis,et en premier lieu les écrivains (qui n'ont jamais été de grands révolutionnaires mais plutôt des "assis", même dans l'indigence) prenions la mesure de notre manque d'imagination et de courage réel, de notre panne d'inspiration et aussi, voulons-nous vraiment changer cet ordre nauséabond des choses ? N'y trouvons-nous pas la merde qui permet de nous exprimer en insoumis ?
Vaillant, Ravachol, Henry n'écrivaient pas..ou très peu...
Je crois que nous sommes des plumitifs bêlants.Des fous du Roi.
C'est dur ce que je dis là mais je ne me fais pas de cadeau moi-même...
Des plumitifs bêlants... Tu as parfaitement raison. Mais les Vaillant, Ravachol, Henry, Liaboeuf etc. malgré le sang versé, n'ont guère fait avancer plus loin le schmilblick... Cela rejoint le contenu de ta dernière lettre (http://nondenon-webzine.blogspot.com/2010/06/lettre-9.html).
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