Figurez-vous que samedi après-midi, m’en revenant de Varsovie par la grande route de Terespol, le soleil dans le dos, la plaine devant moi s’étirant monotone avec, au-dessus d’elle, de lourdes et noires promesses d’un imminent et violent orage, affreusement éclairées d’un vilain jaune brûlant, figurez-vous, donc, que j’ai pensé (car que peut-on faire au volant d’une voiture quand il n’y a rien à faire sinon laisser son pied peser sur l’accélérateur ? ) à notre correspondance et à notre petit débat sur la modernité poétique.
Je vous explique en deux mots. Ce après quoi, je vous laisserai vaquer à vos saines occupations d’observateur mélancolique de ce monde de cinglés.… Oui, je dis « mélancolique » à dessein… « Cinglés » aussi, d’ailleurs.
Il y avait, sur cette route, des voitures modernes, des 4 x 4 rutilants fonçant à tombeau ouvert, des Mercédès et des Audi et autres grosses Volvo, le Polonais étant très enclin, depuis qu’il a goûté aux élixirs paradisiaques du libéralisme flamboyant, à se véhiculer le cul vautré dans le luxe…
Ça lui passera avant que ça nous reprenne, comme on dit.
Il y avait aussi de lourds camions, des Russes, des Polonais, des Lituaniens, des Biélorusses, de lourds camions vrombissant dans le flux tendu du grand capital…Oui, oui, même les Biélorusses et leur vieux communisme à la noix, transportent moult marchandises, via l’espace Schengen…
Bref, une route ordinaire d’une Europe ordinaire…Et, soudain, cheminant lentement sur la voie opposée, voilà que j’aperçois deux paysans dans une carriole tirée par un gros cheval roux à la blonde crinière. Un peu comme l’image de la couverture de Fado…
C’est encore relativement fréquent ici, notez bien, des chevaux tirant des charrettes, mais plutôt dans les campagnes et les routes plus étroites. Là, sur un grand axe international, Berlin/Moscou via Varsovie, ça m’a fait sourire.
Les deux compères cheminaient donc au rythme nonchalant et balancé du cheval, à peine à quatre à l’heure, et ça s’excitait colère derrière…pas le temps de s’amuser à des conneries pareilles !
Les deux paysans, eux, faisant fi de cet environnement prétentieux, avaient les yeux fixés sur la croupe de la bête chevaline, l’un tenait négligemment les rênes et l’autre ne faisait rien, simplement assis là, à ses côtés, à rêvasser, en partance vers un petit lopin riverain de la grande route sans doute…
En voilà deux qui se souciaient comme de Colin Tampon de la modernité des jours, de la crise grecque, de l’euro fissuré, de l’espace Schengen, du prix exorbitant du carburant, de la campagne électorale, de l’histoire toute entière et du monde.
De véritables pieds de nez….Presque des dinosaures.
Ne serions-nous pas, nous, avec nos écrits, nos mots, notre structure décalée de la grande foire d’empoigne, comme ces deux paysans ? Ou comme le cheval, plutôt…
Mais savons-nous seulement ce que nous tirons derrière nous, blanchis que nous sommes sous un harnais dont nous contestons le bien-fondé ?
Ah, je vous le concède, Roland, l’allégorie est facile ! Un peu puérile même. Mais c’est bien à cela que j’ai pensé, sur cette route internationale où cahotait une carriole au pas d’un cheval et où deux paysans, impassibles, exhibaient leur insolent retard.
Bien amicalement à vous..
Bertrand
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