lundi 22 novembre 2010

L’AVENIR EST NOTRE POUBELLE

A travers ses chapitres plein d’humour et de sensibilité, ce livre analyse lucidement la réalité concrète dans laquelle nous vivons. Il nous amène à ouvrir les yeux et à considérer enfin comme aberrantes des situations que nous avons fini par trouver normales tellement on nous a répété qu’elles l’étaient.

Ainsi le capitalisme, pour réussir, doit sans cesse être en expansion. La preuve, c’est que dès que la croissance stagne un peu ou dès qu’elle diminue, les problèmes surgissent aussitôt (chômage, baisse du niveau de vie, etc.) Les spécialistes, tant en économie qu’en politique, n’ont alors qu’un seul mot à la bouche : il faut que la croissance reprenne. Mais JL Coudray nous dit que cette croissance n’est pas exponentielle à l’infini et qu’il viendra forcément un jour elle sera entravée dans son élan, ne serait-ce qu’à cause des limites de la surface terrestre.

Toute notre société occidentale (en passe de devenir le modèle mondial) est basée sur le productivisme. Il faut toujours produire plus et vendre plus. Mais cette conception mercantile (qui est directement issue de l’esprit boutiquier) pervertit notre rapport subjectif au monde. Nous ne voyons plus avec notre sensibilité mais avec les yeux des marchands qui proposent leur camelote comme le seul bonheur possible sur cette terre. Par exemple, si je regarde un site industriel, je ne peux que le trouver laid. Pourtant, je suis tellement conditionné par le fait que la technologie est nécessaire, que je finirai par ne voir dans ce site que son efficacité technique et que j’accepterai sa laideur.

Dans son livre, JL Coudray aborde toute une série de thèmes dans de brefs chapitres qui nous font réfléchir. Il parle de la banlieue, par exemple, ce lieu vide et sans âme qui n’est ni la ville ni la campagne et où tous les petits pavillons ne sont que des maquettes, des jouets, qui miment la vraie maison que le propriétaire (fort endetté par ailleurs) ne possédera jamais. Ou bien les objets en série (tout le monde veut et finit par posséder la même cafetière ou le même réfrigérateur) qui donnent l’illusion d’abolir les inégalités sociales. Car nous nous réjouissons de voir que même les milieux défavorisés ont enfin amélioré leur niveau de vie en pouvant acheter des produits technologiques. Mais nous oublions que ces produits n’ont souvent été possibles que par la mise à sac de la nature et par l’exploitation humaine (pillage du tiers-monde, bas salaires, etc.).

Et la télévision ? Autrefois il n’y avait qu’une chaîne, gérée par l’Etat. Aujourd’hui il y en a des centaines et je choisis le programme qui me plait, autrement dit celui qui parle de moi. La multiplication de ces programmes prouve simplement que l’Etat a perdu son rôle de dirigeant et que le pouvoir s’est maintenant déplacé vers une infinité de multinationales.

Cette surabondance des programmes, on la retrouve sur Internet (où je suis saturé de pages à lire et où, finalement, je ne fais plus que « surfer » sans rien approfondir) ou encore dans les 700 livres publiés chaque automne.

Oser refuser la technologie (qui nous apporte surtout des gadgets), se serait, selon les spécialistes, prôner le retour au temps des cavernes. Du coup, tout le monde se tait et accepte ce principe de base, jamais remis en question. Il faut dire que l’individu est choyé par la société marchande, puisqu’elle le tutoie sans arrêt pour lui faire croire qu’il est important. Que ce soit le Président de la République ou le présentateur du JT, tous ont l’air de ne s’adresser qu’à moi, ce qui flatte évidemment mon ego (on n’est plus à l’époque de De Gaulle, qui apostrophait l’ensemble des citoyens avec son « Français, Françaises… »). Il en va de même de la littérature commerciale, qui semble tutoyer le lecteur. L’auteur est devenu un « copain », qui emploie le style parlé et qui n’est plus inaccessible comme l’écrivain de génie d’autrefois.

JL Coudray aborde bien d’autres thèmes encore dans son livre. La publicité, bien entendu, mais aussi le fichage génétique (qui nous fait ressembler à des bestiaux), la vitesse, le changement climatique, la destruction de la nature ou la morale du travail (ce dernier étant devenu nécessité depuis qu’Adam a quitté le paradis). Négligeant le domaine spirituel et l’art, l’homme moderne ne vit plus que pour les objets qu’il fabrique, ce qui le ramène au temps où il ne faisait que tailler des silex. Car c’est quand ils avaient eu du temps libre que les hommes de Lascaux s’étaient mis à peindre sur les parois des grottes. Aujourd’hui, notre monde est régi par la vitesse (à cause de la concurrence planétaire) ce qui n’augure rien de bon, assurément.

De plus notre planète devient surpeuplée, pas tellement en elle-même, mais à cause de la mauvaise répartition des richesses. En effet, un pays est dit surpeuplé si une partie de ses habitants n’a pas accès aux ressources. Or, avec le libéralisme, il n’y aura bientôt plus qu’une partie infime de la population qui aura accès au confort et à une alimentation décente. Les autres, les pauvres, seront donc considérés comme excédentaires. Pourtant, ce même libéralisme défend l’idée que le l’intérêt privé est indirectement au service de l’intérêt collectif. « Le marchand sert la société en vendant égoïstement ses produits.» Avec un tel principe, inutile donc de gouverner, il suffit de laisser faire le marché.

Évidemment, il y aura bien quelques exclus, mais ces exclus auront mérité leur sort, car s’ils n’ont pas réussi, c’est par paresse, lâcheté ou imbécilité. Inutile, donc, de s’intéresser à leur cas. De plus, leur venir en aide n’aurait aucun sens dans une société qui dit que la concurrence est la seule relation possible entre les hommes. « Toute relation autre que financière pervertit le marché. L’homme, dans sa dimension éthique, religieuse, culturelle et sociale, est un obstacle au libéralisme. » Dès lors, tout sentiment est une perte d’énergie. Quant au protectionnisme que les états ne peuvent plus pratiquer afin d’assurer la libre circulation des marchandises, il est maintenant pratiqué par les multinationales elles-mêmes, principales bénéficiaires de ce système.

En licenciant leur personnel pour gagner davantage, ces mêmes firmes font supporter le poids du chômage par la collectivité. Il en va d’ailleurs de même quand elles polluent, ce qui fait qu’on peut dire que les riches vivent d’aide sociale comme les pauvres.

Quelle serait la solution à tous ces disfonctionnement alors ? Et bien d’abord arrêter de croire que tout changement est synonyme d’évolution positive. Même en art, on en est arrivé à se dire qu’il faut des nouveautés sans arrêt et que les œuvres d’aujourd’hui sont forcément meilleures que celles d’hier par le fait même qu’elles innovent. Or rien n’est moins sûr. En tout cas, il est clair que le progrès technique, lui, considère que l’univers entier est à conquérir. Dès lors, venir parler de préservation de la nature semble relever d’un discours obsolète. Pourtant, le simple fait de s’arrêter et de contempler une fleur peur apporter plus de bonheur que de vivre à un rythme effréné pour gagner de l’argent et s’acheter des objets souvent inutiles. Dès lors, dans une société telle que la nôtre, ne rien faire devient véritablement une action militante.

Feuilly

Jean-Luc Coudray, « L’Avenir est notre poubelle (l’alternative de la décroissance) », Sulliver, février 2010

2 commentaires:

  1. Un compte rendu qui va au cœur du sujet et donne envie de se procurer le livre de Jean-Luc Coudray.

    Ce que je retiens en premier, c'est le regard qu'on peut porter sur certains lieux : zone industrielle, banlieue et je pense aussitôt au travail du photographe Marc Pataut, (que j'avais découvert il y a quelques années sur le site de François Bon), à ces photos prises sur l'ancien site industriel le Cornillon, avant le projet de construction du grand stade.

    http://www.lautresite.com/new/capharnaum/d_textes/pataut.html

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  2. Bien votre texte, très bien même si je puis modestement me permettre

    val qui flane

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