J’ai découvert l’existence de L’Echo de la Fabrique par hasard, lorsque j’écrivais Lyon légendaire et imaginaire, il y a de cela plus de vingt ans. C’était au quatrième étage de la bibliothèque de la Part Dieu, dans la salle dite « régionale ». J’y suis revenu des années plus tard, afin de trouver documentation cette fois-ci pour une pièce de théâtre que j’écrivais, la Colline aux canuts.
L’Echo de la Fabrique est le premier exemple français d’un journal entièrement réalisé des chefs d’ateliers, pour à la fois s’organiser sur le plan local et matériel, mais également intellectuel et national. Il est né de l’échec sanglant des révoltes des tisseurs lyonnais de novembre 1831.
Il s’agissait pour ces artisans plongés dans un monde en pleine recomposition de définir leurs droits, leurs moyens d’action, leurs formes de protection contre le capitalisme bourgeois qui se mettait en place de manière industrielle. Mais aussi de partager des informations culturelles sur leurs activités professionnelles et une réflexion sur la société locale. On peut ainsi y lire des comptes-rendus complets de séances des séances des prudhommes opposant canuts et marchands, des annonces, des conseils pratiques, des poèmes et des débats nourris à partir des idées saint-simoniennes ou fouriéristes qui commençaient à se répandre parmi les gens du peuple instruits.
Entre autres curiosités, le concours organisé par les chefs d’ateliers pour trouver un autre terme que « canut », ce dernier étant considéré par eux comme injurieux (on peut penser à un équivalent de prolo…)
La lecture des numéros l’Echo de la Fabrique, comme celle du Précurseur ou, à une échelle moindre, celle de La Glaneuse, est donc indispensable pour qui veut non seulement comprendre les faits qui se déroulèrent dans le monde des ouvriers-tisseurs lyonnais entre novembre 1831 et avril 1834, mais qui désire surtout en saisir l’esprit. C’est l’historien Fernand Rude, spécialiste de l’histoire des mouvements ouvriers du dix-neuvième siècle, qui proposa le premier une réimpression complète de ces numéros (1) A partir de 2006, une nouvelle édition de ce corpus a été mise en place par le groupe « l’Echo de la Fabrique » de l’ENS-LSH. On peut consulter le résultat de ce travail en suivant ce lien.
En septembre 2007 furent organisées à Lyon des journées d’études qui réunirent plusieurs historiens, sociologues, linguistes et économistes, afin de parcourir à nouveau ce corpus à la fois original et inédit.
Ludovic Frobert, directeur de recherche au CNRS, et auteur de Les Canuts ou la démocratie turbulente : Lyon 1831-1834. (2009, Tallandier) vient de publier un ouvrage particulièrement intéressant et documenté, issu de ces journées : L’Echo de la fabrique : naissance de la presse ouvrière à Lyon, Lyon, ENS Editions et Institut d’Histoire du Livre, dont le sommaire que voilà peut donner une idée :
Solko
SOMMAIRE:
Introduction
Désignation et reconnaissance : le concours pour « chercher un terme appellatif qui remplace celui de canut dans L'Écho de la fabrique — Marie-France Piguet
Marius Chastaing et la presse ouvrière à Lyon » — Jeremy Popkin
Labels ouvriers dans le journal des canuts. Approche lexicométrique — Maurice Tournier
Les imprimeurs des journaux canuts — Dominique Varry
Mépris et souffrance dans L'Écho de la fabrique — Emmanuel Renaut
Le Fouriérisme des canuts — Jonathan Beecher
1789-1830, la nouvelle aristocratie et le peuple. La permanence de la construction de soi par contraste — Jacques Guilhaumou
La muse de la Fabrique. Les rubriques littéraires de L'Écho de la fabrique — Sarah Mombert
Les canuts et l'argent : la caisse de prêts aux chefs d'atelier en soie dans L'Écho de la fabrique — Simon Hupfel
Les échos de L'Écho. L'héritage du journal des canuts (1834 -1870) — George J. Sheridan
« Défendre les intérêts des femmes dans les années 1830 : conjugalisme et sexualisme dans Le Conseiller des femmes et dans L'Écho de la fabrique » — Anne Verjus
« Javelot, miroir, arène et bouclier ». Les quatre dimensions de la technologie dans L'Écho de la fabrique — Betsey Price
Le traitement de la pauvreté dans L'Écho de la fabrique — Alain Clément
Les saint-simoniens à l'épreuve des « événements de Lyon » : une approche communicationnelle — Philippe Régnier
Machines et machinations : le débat entre Anselme Pétetin et Joseph Bouvery — Ludovic Frobert
L’Écho de la fabrique : naissance de la presse ouvrière à Lyon
Sous la direction de : Ludovic Frobert,
ENS Editions / Institut d’histoire du livre,
2010, 27 euros.
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