vendredi 19 novembre 2010

LA POLITIQUE DE L’IGNORANCE

C’est déjà un livre ancien que L’Enseignement de l’ignorance. Il a été écrit par un prof de philo, Jean Claude Michéa, alors que l’Education nationale était confrontée au cas Allègre qui, toute proportion gardée, fut dans les années 2000/2001 à l’échelle d’un ministère, ce qu’est Sarkozy à l’échelle d’un pays à présent; goujat, arrogant – ça, passe encore – mais surtout un VRP du système, un larbin, un exécutant. Les deux voulant se donner l’allure de l’autoritarisme responsable alors qu’ils ne font que passer le plat. Que le meilleur pote de Jospin de l’époque se répande à présent en compliments sur les méthodes de Sarkozy en dit long d’ailleurs sur la complicité des partis dirigeants en alternance la France pour l’assujettir à la réforme de fond, ainsi que sur les affinités de leurs membres. Bref.

Le mérite du livre de Michea fut de me faire prendre conscience à quel point, en matière d’éducation nationale, le pilotage effectué par l’OCDE n’était plus une figure de style. Un exemple qui a l’époque m’avait sidéré, et qu’on peut retrouver dans les directives de 1997 de l’OCDE, concernant l’enseignement des Lettres : « Il ne faut plus trop parler du classicisme en France ni du romantisme en Allemagne. Cela exacerbe les identités nationales. Tout le monde doit étudier les Lumières, mouvement plus européen ». Les Lumières ! Les lumières : jusqu’à l’obscurantisme absolu… Ou encore : il importe que les éducations nationales intègrent l’outil informatique : nous avons des bécanes à vendre.

Bref.

En France comme ailleurs, je compris à quel point l’éducation n’avait plus rien de nationale ; c’est l’OCDE et ses relais européens qui coordonnent la doxa que l’école doit transmettre telle une bouillie aux futurs consommateurs européens ; enfin les dirigeants de l’OCDE, on le sait tous, n’en ont rien à foutre de la culture mais ne s’intéressent qu’à la protection des marchés et la gestion des « bassins » (stocks) humains.

A l’époque les professeurs grecs avaient fait presque un an de grève pour défendre contre le consumérisme scolaire les valeurs de transmission intrinsèque à leur métier – ce qu’on pourrait appeler un léger humanisme…, avec boycotts des examens, jusqu’à ce qu’évidemment, la population se retourne contre eux. A l’époque, j’avais publié un essai, L’Ecole vendue, de la démagogie gouvernementale à la soumission aux marchés… J’avais dû faire dix jours de grève pour des peanuts. Les gens de mon entourage immédiat qui m’ont jugé frileux à l’égard de la contestation de Sarkozy sont les mêmes qui, à l’époque, s’insurgeaient parce que le vilain Allègre était méchant avec eux, gens et que j’ai vu rentrer dans leurs pénates dès qu’il fut remplacé par le gentil Lang au ministère de l’éducation nationale. Lequel Lang a fait passer la même réforme en commençant par dire aux profs : « je vous aime. » Texto. Lang qui avait comme directeur de programmes Ferry. Luc Ferry qui devint ministre de Chirac. And so and so… Et on, croit que Chatel est pire ? Ou mieux ? Faire grève contre un homme politique n’a pour moi, depuis, plus aucun sens.

Ce qui est vrai de l’éducation nationale l’est des autres ministères. Il faut cesser d’illusionner les Français et les autres peuples avec l’idée d’un rapport de force efficient qui serait interne à chaque pays. A chaque fois que je dis ça, on me dit : « tu protèges Sarkozy. » Non, je sais que Sarkozy, contrairement à ce qu’affirme Villepin, n’est pas le problème. La fonction de ces politiques français n’est-elle pas plutôt d’attirer à eux les passions politiques afin de détourner la contestation des vrais centres décisionnels ? Un peu comme jadis les premiers ministres servaient de fusibles à leurs présidents, les présidents ne servent-ils pas de fusibles à présent à ces instances de la gouvernance européenne et mondiale (Bruxelles, des agences de notation, du FMI, de l’OCDE, etc….). Nous sommes dans une politique de l’ignorance, pour paraphraser Michea, quand nous faisons mine de penser que les problèmes majeurs (retraites, éducation, santé…) peuvent se régler à un niveau national.

Voilà pourquoi je pose ici cette question, comme je l’ai déjà posée ailleurs : Une grève coordonnée sur le plan européen est-elle possible pour sortir des contestations nationales stériles ? Comment organiser une contestation globalisée dans un monde dont l'économie est globalisée ?

Solko

13 commentaires:

  1. "Comment organiser une contestation globalisée dans un monde dont l'économie est globalisée ? "

    C'est effectivement la seule question qui a un sens. On endort la population avec une opposition gauche-droite qui n’a plus beaucoup de sens, les politiques menées étant sensiblement les mêmes (un peu plus agressive pour la droite sarkozienne, fière d’elle-même et se sentant appuyée par les milliards des multinationales, un peu plus timide pour la gauche socialiste, qui doit quand même ménager son électorat). La preuve, c’est qu’on nous présente déjà DSK comme celui qui va battre Sarkozy. Or, sortant en droite ligne du FMI (où il a été élu avec l’appui du même Sarkozy, ne l’oublions pas), il ne faut pas se faire d’illusions sur la politique qu’il va mener.

    Cependant, la population n’est tout de même pas aussi naïve qu’on le dit et elle se rend bien compte de ce qui se passe. Ce qui est dommage, c’est qu’il n’y a aucune réaction, sans doute pour les raisons évoquées par Solko : se battre à l’échelle nationale ne sert à rien. De plus, demain, suite au travail de sape organisé par l’Union européenne, il n’y aura même plus d’état, mais des régions, ce qui va encore limiter la portée des contestations, pour autant qu’il y en ait.

    Le plus frustrant, c’est cela : se dire qu’il y a pas mal de personnes qui réfléchissent, qui condamnent le système (à commencer par les lecteurs de ce blogue) mais que cette contestation ne trouve pas le moyen de s’exprimer (si ce n’est par des écrits et des paroles) et d’être efficace. Ces gens de l’OCDE et du FMI, avec leur logique financière, sont plus efficaces que nous avec notre culture.

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  2. Il n'y a pas moins "d'aveuglement au désastre" en préconisant une contestation globalisée qu'en imaginant qu'il peut encore y avoir des actions à l'échelle nationale.
    C'est quand même bien au niveau national qu'existent bouclier fiscal, exonérations en tous genres, dépénalisation du droit des affaires qui ne sont que la partie émergée...
    Et c'est en France qu'il y aura des élections en 2012.

    Et bien sûr que c'est à l'agencement mondial qu'il faut toucher. Le marché financier mondial est dix fois supérieur au PIB mondial. C'est à la création virtuelle de l'argent qu'il faut mettre fin.

    Le professeur d'économie Alain Combes, qui rendait compte ces jours-ci chez Solko, des JECO à Lyon, évoquait Frédéric Lordon.
    F. Lordon, dans Le Monde diplomatique de février 2010 écrit : "La Bourse est devenue une machine à fabriquer des fortunes. Et c'est tout. Bien sûr pour ceux qui s'enrichissent, ce n'est pas négligeable. Mais pour tous les autres, ça commence à suffire.".
    Il estime que ce n'est plus la Bourse qui finance les entreprises mais les entreprises qui financent la Bourse, par le prélèvement des dividendes sur les richesses produites et par le rachat des actions par l'entreprise elle-même pour en soutenir les cours.
    Ainsi France Télécom qui selon un communiqué du syndicat CFE-CGC-Unsa du 4 juin 2010, a non seulement versé des "dividendes, au titre de l'année 2009, supérieurs aux bénéfices de l'entreprise", mais celle-ci a en outre perdu "250 millions sur le marché des changes liés à son obligation d'emprunter pour financer le paiement anticipé des dividendes".

    L'existence de la Bourse date du XVIIIe siècle. C'était une construction sociale destinée à soutenir la croissance économique en drainant une épargne disponible pour les besoins des entreprises.
    Mais les petites et moyennes entreprises s'en passent très bien : elles ne sont pas cotées.

    "La Bourse, écrit Frédéric Lordon, comme miroir à la fortune, aura été l'opérateur imaginaire aux effets bien réels. (...) Elle a cette remarquable propriété de concentrer en un lieu unique la nocivité économique et la nocivité symbolique, en quoi on devrait voir une raison suffisante d'envisager de lui porter quelques sérieux coups."

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  3. En fait, Solko, ce que je préfère à ces discours généralistes, c'est cette phrase qui vient vers la fin de votre livre "L'École vendue, de la démagogie gouvernementale à la soumission aux marchés" :

    "Pour que le monde demeure humain, il nous reste à redécouvrir la puissance colossale et oubliée de notre vulnérabilité."

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  4. Michèle , ce que tu dis là est vrai et bien argumenté...Mais en quoi ça dispense d'une stratégie hors-hexagone et en quoi cela vient-il contredire le fait que les luttes dans le cadre national ne règleront (si tant est qu'elles aboutissent) que des problèmes de surface, des épiphénomènes et non l'exigence de vie des citoyens ?

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  5. Je dis Bertrand que si la lutte ne se mène pas contre les vrais problèmes, elle n'a pas plus de chance d'aboutir dans le cadre international que national. Tu le dis formidablement bien dans l'Exil aujourd'hui, le virtuel a déplacé la donne et comme j'habite dans un lieu précis, c'est de ce lieu que je veux agir. Pas d'autre choix.

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  6. Je me sens plutôt en phase avec ce qu’écrit Michèle, Roland, car tu te doutes bien que le palantien que je suis, naturellement circonspect dès qu’on parle de mouvements de masse, ne peut qu’être très sceptique vis-à-vis d’une éventuelle contestation européenne globalisée...

    Je ne dis pas que, d’un point de vue intellectuel, ce n’est pas une bonne idée ; je pense seulement que d’un point de vue humain c’est tellement illusoire que je n’ai même pas envie de gaspiller de l’énergie à lutter pour ce type de chimère !

    Un des grands acquis du règne de Nicolas Sarkozy restera sans doute de nous avoir obligé à nous reposer la question de ce qu’est la démocratie. Tous ceux qui, comme nous, avaient cerné le bonhomme avant son élection savaient d’avance que nous en serions là aujourd’hui. Combien de fois ai-je dit, à des personnes de conditions modestes – voire très modeste, RMI, ASS...) qui se vantaient d’avoir voté Sarkozy : « on en recausera dans pas longtemps... » Aujourd’hui, ces gens râlent contre Sarkozy, mais demain, ils revoteront pour lui ou pour un de ses clones. Plus ça va et plus je me dis que les français (et sans doute une bonne partie des européens) ne veulent pas de la démocratie. Bien sûr, officiellement, tout le monde se dit « démocrate », parce que c’est plus chic, mais quand on voit que Sarkozy peut tranquillement affirmer qu’il n’est pas là pour répondre aux désir des Français et que beaucoup de ces Français approuvent et admettent que le président de la France doit être ferme et faire preuve d’autorité, on peut se poser des questions... Idem quand on entend les discours qui fleurissent actuellement sur De Gaulle...

    Je ne sais pas si vous avez remarqué avec quelle facilité, lorsque les commentateurs politiques parlent de Sarkozy, de Fillon, du Gouvernement, ils emploient un vocabulaire d’entreprise. Ils utilisent par exemple souvent le mot « patron » (Sarkozy reste le « patron » ; Fillon s’impose comme étant le vrai « patron » du gouvernement...) Je crois que le problème est là : beaucoup de français ne votent pas pour un « représentant », mais pour un « patron » ; ils ne votent pas pour un égal, mais pour un « chef » avec lequel le rapport, naturellement, ne se conçoit pas en terme d’égalité, mais en terme d’autorité.

    Alors, un mouvement social européen... Pourquoi pas... Mais il y a déjà du boulot à faire au nouveau national, voire régional, départemental, communal, local... Et ce boulot là, c’est à nous de le faire, tous les jours, avec nos moyens individuels, sur le net, dans la rue, dans les bistrots, avec les collègues, les amis... C’est un boulot terre-à-terre, sans éclat ni gloire, qui est très loin d’avoir une ambition européenne mais qui est, selon moi, indispensable. Si mouvement plus ample il doit y avoir, il ne pourra venir que d là.

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  7. Pour illustrer mes propos je glisse ci-dessous quelques citations de Han Ryner, tirées d’articles à paraître dans Le Grognard de décembre. Façon cavalière de faire de la pub pour la revue, certes, mais aussi parce que je pense que Han Ryner, anarchiste individualiste avait déjà très bien cerné les ambigüités dans lesquelles nous sommes pris aujourd’hui.

    - Éveiller la conscience, la libérer de ce qui n'est pas elle, la placer et l'arrêter en face des questions devant quoi elle tremble et recule, c'est tout ce que je peux faire pour autrui. Dépasser ce point est faute grave : c'est asservir ce que je prétendais délivrer. (« Comment te bats-tu ? »)

    - Que résulterait-il même du triomphe des éléments que nous appelons, non sans étourderie, révolutionnaires ? Nul changement profond et heureux, j'en suis trop certain. Pas de révolution réelle, pas d'ordre nouveau. Pourquoi ? Parce que la catastrophe vers quoi nous marchons sera une révolution sans révolutionnaires. Voulez-vous toute l'âpre et désolante vérité ? L'histoire moderne ne nous présente que des semblants de révolution, parce qu'elle ne saurait découvrir de vrais révolutionnaires. (« Révolutions sans révolutionnaires)

    - Liberté, Égalité, Fraternité : la formule est aussi complète qu'on la peut désirer. Que réclamez-vous de plus ? Qu'on nous donne cela, je me déclare satisfait. Et vous aussi, réfléchissez. Non, ce n'est pas le programme qui a manqué. Ce sont les hommes et c'est le peuple. (« Révolutions sans révolutionnaires)

    - Les prochains mouvements – voilà qui me fait trembler – ne dépendent pas de nous. Ils seront déclenchés, comme les précédents, par la folie et l'incohérence des gouvernants, non par la sagesse et la ferme volonté de révolutionnaires qui n'existent pas. Il y en a qui crient : Révolution ! Révolution ! Je dis à chacun d'eux : Connais-tu un vrai révolutionnaire ? Ne cherche pas autour de toi, tu ne trouverais pas. Regarde en toi-même et réponds, si tu l'oses. (« Révolutions sans révolutionnaires)

    - Quand je pense à ceux que le vulgaire appelle des révolutionnaires, à ces pauvres gens qui veulent changer la société sans modifier l'homme, je suis toujours un peu étonné. La société n'est-elle donc pas une œuvre de l'homme ? Agitez les choses extérieures tant qu'il vous plaira, si vous ne touchez pas profondément au cœur et à l'esprit, l'homme, non changé, reconstruira toujours une folie analogue à celle que vous aurez détruite. (« les vrais révolutionnaires »)

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  8. @ Michèle :
    L'intérêt d'un mouvement "globalisé", au moins à l'échelle européenne, même court, mais s'il était significatif, serait de signifier de manière claire à toutes les instances dirigeantes - économiques et politiques - du monde entier que les opinions européennes ont vraiment perçu le déplacement des centres de pouvoir qui s'est opéré dans leur dos et contre leur gré. Que malgré les campagnes de (dés)informations massives conduites pas les organismes de presse, ils ne sont pas dupes.
    Dans un premier temps, ça ne servirait en effet qu'à ça. Mais ça ne serait pas mal. Voir les effets produits par les votes négatifs contre le projet de constitution et le branle bas de combat généralisé qu'il a engendré. Tout autre chose que les résultat piteux des manifs nationales...

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  9. @ Michèle : Ce que j'entendais alors par "vulnérabilité", si j'ai bonne mémoire car je n'ai pas le livre sous la main ici, c'est la conscience de sa propre mortalité qui permet à chacun de ne pas se fondre dans une masse agissante en vain. De retrouver en quelque sorte ses esprits. Ou quelque chose comme ça. C'était en lien avec Kantor et cette remarquable "classe morte".

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  10. @ Stéphane :
    Un slogan pour résumer le tout :
    "Les classes dirigeantes européennes ont besoin qu'un signe fort leur soit envoyé pour intégrer le fait que les peuples ne sont pas dupes de leur stratégies politiques nationales.
    Le dernier en date fut les votes non au projet de constitution. Vite étouffé. Depuis, on bat à nouveau la soupe dans la marmite. Rôle de Sarkozy et de sa présumée opposition là-dedans ...

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  11. @ Feuilly
    Les gens de l'OCDE et du FMI possèdent une "vertu" que nous n'avons pas, c'est le cynisme.Autre chose, ils appellent "culture" ce que nous n'appelons que "logique financière". Ils diront, autrement dit, qu'ils agissent en homme de culture là où - à nos yeux - ils n'agissent qu'en hommes d'intérêt. C'est la victoire du pur sophisme, qui leur permet de nous considérer comme des gens dont la culture, précisément, serait incomplète...

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  12. Michèle, qu'internet change la donne du monde, oui c'est ce que je dis sur Exil et ce que je ne dis pas (encore) c'est que c'est justement de cet outil dont il faut s'emparer encore plus pour internationaliser au plus vite la lutte et les espoirs.
    C'est justement une ouverture féconde qui peut nous permettre de dépasser les usages locaux (aussi utiles soient-ils).
    La preuve ?
    Ce débat, là, en ce moment.

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  13. c'est vachement bon signe quand les commentaires sont aussi pertinents que les billets publiés,non ?
    moi,je me régale,ya comme de l'information qui passe !

    mais qui est Michèle,bon sang ?

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