vendredi 21 mai 2010

LETTRES #4

Cher Roland,

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J’ai lu votre lettre avec beaucoup de joie (en voilà une introduction qu’elle est bien courtoise et fort originale, ma foi !) car les sujets que vous y abordez sont effectivement essentiels pour qui se mêle d’écrire.

Vous mettez le doigt sur l’historique d’une écriture et dévoilez ainsi que nul, en ce domaine comme dans tous les autres, ne se fait soi-même mais trimballe dans ses valises (dans son encrier, en l’occurrence) des références, toute une famille qui depuis longtemps ne le quitte plus et qui murmure dans l’ombre, sans pour autant que l’auteur ait pleinement conscience de ces bruissements.

Car, dès que le couvert est mis, cette tribu sympathique s’invite régulièrement et sans vergogne aux plaisirs d’écrire. Je n’avais en effet jamais prévu d’introduire Genevoix ou Maupassant au départ de Zozo, pas plus que Roger Vailland au départ de Géographiques. Mais, à un certain moment, quand la fête battait son plein, ils sont accourus d’eux-mêmes tels de vieux fantômes et parce qu’ils avaient sans doute entendu qu’on se livrait en ces lieux à leur débauche favorite d’antan. Ils se sont imposés. Sans eux, la fête eût été un peu bancale.

Genevoix, je l’ai rencontré quand j'étais adolescent. Au milieu des champs et des bois et quelle merveilleuse sensation que celle d’éprouver soudain qu’on est en train de vivre dans un livre, avec des mots qu’on voudrait soi-même avoir ciselés, ce qui vous entoure en réalité et que vous aimez, du chant du merle noir à la buse qui plane en haut du ciel, jusqu’à la fraîcheur de la prairie en passant par les pénombres des sous-bois.

Forcément alors, penché sur mon manuscrit, tout cela s’invite, tant l’émotion d’écrire et celle de lire jouent sur les mêmes partitions. Du moins chez moi.

Il en va de même pour Vailland, quoique j’aie fait sa connaissance beaucoup plus tard.

À un âge un peu désabusé. Quand le parcours est déjà quelque peu abîmé. Ce n’étaient plus les paysages qui étaient présents mais l’obstination à vivre pleinement sa vie, mêlée à un certain désespoir et à un goût prononcé pour l’ivresse et les jeux de l’amour.

J’ai tout lu de vailland, jusqu’au volumineux et inachevé Ecrits intimes qu’une de ses anciennes amies, que j’ai eu la chance de rencontrer à Paris, m’avait gentiment offert. Cependant, Roland, en dépit de tout ce que j’ai pu lire et de tout ce que je lis encore de livres et d’auteurs, s’il est un seul livre que j’eusse aimé écrire, un livre qui m’a profondément marqué, ému, bouleversé, c’est bien Les Mauvais coups.

Nul autre n’est venu à ce jour me procurer la sensation de lire un frère. Plus qu’une oeuvre, un miroir, même si ça n’est pas ce qu’on demande à un livre, mais je me situe là plus sur le domaine du « sensiblement personnel » que sur l’échelle toujours un peu pourrie de la cotation littéraire.

Bizarrement, je n’ai jamais osé remettre le nez dedans. Je l’ai refermé, voulant sans doute garder intacte ma première sensation. Il reste pour moi le chef-d’œuvre de mon « équinoxe » de la quarantaine.

Alors, vous avez vraiment vu très juste en posant la question si , en citant un tel ouvrage, de façon inopinée, anodine, ça n’était pas une certaine image de moi, fugace, que je voulais transmettre. Je n’en avais pas pris l’exacte mesure et je vous dois cet éclaircissement.

Cependant, j’ai un père plus incontesté encore en écriture. Le maître. Celui qui me poursuit partout et duquel j’essaie cependant de calmer les ardeurs. Oui, il s’invite souvent sous ma plume et je dois quelquefois l’en chasser. Il me ferait trop d’ombre.

Vous l’avez sans doute deviné, il s’agit de Maupassant, d’ailleurs également nommé dans Zozo… Et j’ai été ému, touché, à l’époque, par la critique de Jean-Louis Kuffer qui disait, sans ne rien savoir de cette filiation, qu’il y avait dans mon livre un goût de Maupassant . Comme quoi, quand on a affaire à des lecteurs de cette envergure, il n’y a pas de secret qui ne puisse être mis au jour.

Et à propos de Jean-Louis Kuffer, je m’éloigne un peu, cher Roland, pour vous dire que je suis en train de lire un de ses livres Le Viol de l’ange, un livre étrange, troublant, très, très original.

J’en reparlerai sans doute sur l’Exil des mots.

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J’aurais voulu vous entretenir également d’un tout autre sujet mais j’ai été un peu long. Ce sera donc pour la semaine prochaine.

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En tout cas, merci pour cette correspondance et la qualité de votre lecture.

Portez-vous bien et amitiés polonaises

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Bertrand
PS : Merci également pour cette magnifique photo de Vailland qui m'évoque spontanément un passage, sur la souplesse de sa DS....

3 commentaires:

  1. Quand fut passé le temps "du merle et de la buse", vous vous trouvâtes donc à un "âge désabusé". Logique. Vous me donnez donc envie d'ouvrir les "Mauvais coups" qu'à ma grand honte je ne connais point. Sûr que ça sera pour mon plus grand profit (oh, quel terme ..)
    Pour ce qui est de Maupassant, mais j'avoue que cela tient peut-être de la déformation professionnelle, tout en reconnaissant la maîtrise je suis moins enthousiaste et n'en fis qu'un aimable cousin dans ma mythologie personnelle. A quoi tout cela tient-il ?

    Il faudra qu'un jour nous nous dévoilions les uns aux autres nos "tribus" respectives. Bonne journée à tout le monde.

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  2. Dans la tribu des habitués des soirées zolatesques de Médan je choisis J.-K. Huysmans !

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  3. Bonne idée, ça, "nos tribus" respectives...
    Pour les Mauvais coups, l'auteur de cette missive a bien dit que ce fut un choc de la "sensibilité personnelle"...Rien que ça....Mais ça est beaucoup.
    Vous avez déjà eu des chocs, vous, en lisant Proust ?

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