mercredi 12 mai 2010

LA REPUBLIQUE DES CLOWNS

Ah ! Comique, quel beau métier ! Enfin, comique : clown, bouffon, saltimbanque… vous savez bien ? Ceux qui ont le droit de rire de tout ? Rappelez-vous l’affaire « Guillon/Besson » par exemple, il y a quelques semaines, l’histoire des « yeux de fouine » et du « menton fuyant » (on dirait presque un titre de fable de La Fontaine !). Que de niaiserie dans tout cela. Et que les réactions en chaine, unanimes et consensuelles, des défenseurs de Guillon étaient insupportables ! Mon Dieu, rendez-vous compte ! Besson ose se plaindre ! On veut bâillonner un humoriste ! On veut museler la démocratie ! Car les humoristes sont les porte-étendards de la démocratie, tout le monde le sait. Leur sens de la caricature et de la dérision est sacré ! Dire qu’un humoriste a loupé sa blague, qu’il est tombé à côté de la plaque, c’est absolument interdit ! Pire, on frôle le fascisme ! Attention, on peut rire de tout, mais on ne rigole pas avec ça ! Marre pourtant d’entendre tous les bien-pensants seriner à qui mieux-mieux que les humoristes ont tous les droits ? Ah bon ? Ils ont de la chance alors… Je vais peut-être faire ça comme métier ! Les humoristes auraient des droits que les autres n’auraient pas ? Ça, c’est sacrément démocratique pour le coup ! Mais c’est curieux, quand même comme façon de concevoir les individus : « tiens, toi t’es un comique, t’as tous les droits. Peu importe de savoir si t’es drôle, si tu ne l’es que parfois ou 24h sur 24, t’es un comique, et t’as tous les droits, c’est comme ça, ça s’discute pas… » Comme s’il n’y avait pas chez les comiques la même proportion d’imbéciles et de sales types qu’ailleurs ! Comme s’ils n’avaient pas les mêmes œillères et les mêmes préjugés que le commun des mortels. Car ce qui pose problème dans un débat comme celui qui s’est joué autour de « l’affaire » Guillon/Besson, ce n’est pas la question de l’humour et de la place laissée dans la société à la dérision, à l’impertinence, à la satire. Non, ce qui pose problème c’est la manière dont tous ces zozos là utilisent l’espace médiatique pour donner aux badauds leur dose de haine, de souillures et de scandales. Et sur ce plan là, Besson et Guillon appartiennent à la même famille… En effet, sur quoi reposent la plupart du temps les chroniques des Stéphane Guillon, Didier Porte, Guy Carlier, Christophe Halévêque ? Sur de l’humour ? Non, c’est bien ça qui cloche. Elles reposent sur ce qu’il y a de moins noble en nous : l’esprit grégaire et le plaisir de hurler avec les loups. Qu’attendent de plus en plus les fans des Guillon, Carlier and Co ? L’expression d’une vérité supérieure ? Non point. Un regard critique et décalé ? Pas plus. Ce qu’ils attendent ? C’est que leurs « comiques » tapent là où ils doivent taper, là où ils sont « programmés » pour taper. Les jeux du cirque en quelque sorte. Faut que ça saigne et que ça excite les sens… Peu importe les moyens, il faut y aller : le public attend son spectacle. Il faut taper sur les hommes politiques (normal, ils sont tous pourris), sur les présentatrices (surtout si elles sont blondes et si elles officient sur la première chaine ou sur la TNT), il faut taper sur la télévision et sur ses programmes (forcément décérébrant) : double coup de marteau pour la télé réalité, bien-sûr, et sur la faune people, sur tel romancier trop à la mode, ou sur telle chanteuse qui plait trop aux ados… Le problème, c’est que dans la plupart des cas maintenant, il n’est même plus nécessaire d’écouter les chroniques de nos comiques : on sait d’avance ce qu’elles vont contenir… Non, c’est plus vicieux… C’est justement parce qu’ils savent ce qu’elles vont contenir que nombre d’auditeurs et de spectateurs les attendent et les aiment. Ils n’en espèrent rien de bien neuf. Ils ne leur demandent pas de les faire réfléchir ou de titiller leur esprit critique. Non : juste de les conforter dans leur identité et dans leurs préjugés. Les comiques d’aujourd’hui, proposent du prêt à consommer, du déjà pensé. Ils n’ont même plus besoin d’être drôles, ce qui est quand même paradoxal. Reprenez les « blagues » de Guillon sur Besson par exemple : dire du ministre qu’il a des « yeux de fouine » et un « menton fuyant » ou prendre l’accent allemand pour sous-entendre une proximité entre le ministre de l’immigration et les leaders du nazisme, il faut bien l’admettre : ce n’est pas drôle. Je ne dis pas que ce n’est pas juste. Que ce soit juste ou non, on s’en fout, c’est un autre débat. Quand Desproges disait « qu'il y a plus d'humanité dans l'œil d'un chien quand il remue la queue que dans la queue de Le Pen quand il remue son œil », là il y avait un ressort comique indéniable. Le Pen pouvait s’offusquer, crier à l’insulte, il était fichu : la blague était là, plantée dans les esprits. Mais dire d’un type qu’il a des yeux de fouine ! Prendre l’accent allemand (ce qui est quand même un des procédés comiques les plus éculés qui soient), c’est de l’humour ? Non. Mais ça fait rire… Enfin, ça en fait rire certains : ceux qui ont envie de taper sur Besson et qui trouvent dans les « blagues » de Guillon matière à alimenter, non pas leur réflexion, mais leurs convictions. Le problème, c’est que ces humoristes stéréotypés et prévisibles ne critiquent rien, ne dénoncent rien. Ils se contentent d’appuyer là où tout le monde attend qu’ils appuient. Ils font partie du grand cirque qu’ils dénoncent et profitent du « buzz » (pour employer le terme à la mode) comme les autres. Après son clash avec Guillon, Besson pourra jouer les victimes auprès de ses partisans. Ceux qui ne l’aimaient pas continueront à ne pas l’aimer. Il continuera sa carrière politique tranquillement et les vraies questions de fond auront été laissées en suspend. De son côté, Guillon, emporté par le tourbillon de ses exigences carriéristes passera très vite lui-aussi à d’autres chroniques. Il tapera un coup sur Loana, un coup sur Arthur, un coup sur Domenech, un autre sur Carla Bruni ou sur Xavier Bertrand… La routine quoi… Et il profitera des petits scandales qu’il déclenchera de temps à autres pour remplir un peu plus les salles où il se produira en spectacle, et pour arrondir toujours plus ses fins de mois, avec la meilleure conscience du monde… On a les hommes politiques qu’on mérite paraît-il… Il en va de même, hélas, pour les comiques.
Stéphane Beau

6 commentaires:

  1. Ben.. ça, pour du contrepied... Néanmoins, je constate avec joie que si, en littérature, il est iconoclaste de distinguer les bons des mauvais, en matière de comique, par contre..... Et puis il reste le problème de fond.. Si Besson assume ses choix "au faciès", ne persécute que les Noirs, les Arabes, les bronzés, c'est plutôt du genre réponse du berger à la bergère que le prendre sur le sien, de faciès..... Mais le primordial, là-)dedans, ne serait-ce pas justement que Guillon, lui, a choisi profession comique? Il s'est offert le choix d'être nul, déconsidéré, incompétent, parce qu'il ne veut que faire rire.... avec plus ou moins d'habileté, il faut le concéder.. MAis comique, tout de même.. Et pas ministre... Qui plus est de l'identité française.. Ce n'est évidemment pas la même cour... Ne serait-ce accorder à Guillon une importance qu'il ne revendique même pas? En gros, cet article, est-ce qu'il ne placerait pas, de manière tout à fait cnfuse, le bouffon et le prince sur le même plan? Ne serait-il pas parie du concert dénoncé? Pourquoi comparer deux choses aussi incomparables? .... La volonté de célébrité serait-elle e seul critère dans notre monde médiatique? D'où vient la confusion?...

    PP

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  2. Sacré Pascal, toujours aussi confus, mais, malgré tout, toujours le bienvenu !

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  3. Finalement, je devrais retirer ce que j'ai tenté de dire... tu as une compétence indéniable en matière d'humour...... Peut-être bien plus qu'en matière d'idées... Du genre politesse du désespoir.
    Con, je le fus certainement, le serai-je à jamais?

    PP

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  4. Tout ça ressemble, on dirait bien, à du miel dans du vinaigre...
    Mais Why not ?

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  5. Bonjour,

    deux remarques brèves pour nuancer un peu votre propos:

    D'abord, il ne me semble pas qu'il y ait de consensualisme ambiant sur la question: pas mal de gens se sont offusqués des saillies visant les tares physiques de Besson.

    Ensuite, n'oublions pas que c'est de la satire. Cette tendance à dramatiser les enjeux d'une vulgaire satire, dans les medias, dans votre commentaire, me laisse perplexe... Le parfum sulfureux prêté aux chroniques de Guillon me semble être l'une des manifestations du politiquement correct ambiant...

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  6. @ Chrisian : Vous avez raison de préciser que de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les propos de Guillon, mais j'ai eu l'impression (et ce n'était peut-être qu'une impression), que les médias traitaient cette dénonciation avec plus de réserve...

    Quant à votre perplexité vis-à-vis de la dramatisation qui est faite de cette affaire (dramatisation que je renforce à mon tour dites vous), je ne sais pas trop quoi vous répondre, car sur le fond je suis d'accord avec vous quand vous écrivez que : " Le parfum sulfureux prêté aux chroniques de Guillon me semble être l'une des manifestations du politiquement correct ambiant... " Cette affaire n'aurait jamais du en être une. Mais le fait qu'elle en soit devenue une arrange aussi bien Guillon que Besson, au final, ce qui me laisse, à mon tour, perplexe...

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