mardi 7 septembre 2010

CHERCHEZ L'INTRUS...

A l’occasion de la parution de son premier roman, L’Intrus, aux éditions Durand-Peyroles, Joaquim Hock a bien voulu répondre à quelques questions…

* * *

Non de non : Vous venez de publier un premier roman, L’Intrus, aux éditions Durand-Peyroles. Comment décririez-vous ce livre ?

Joaquim Hock : C’est un roman par fragments qui forme un tout que j’espère cohérent. La narration se fait par touches successives, non linéaires. Il s’agit de la vie d’un homme, célibataire, fonctionnaire banal, qui décrit en 101 brefs chapitres les difficultés qu’il rencontre depuis qu'il doit cohabiter dans son appartement avec une sorte de monstre qui ressemble à une masse froide et informe qui change parfois d'apparence, mais demeure toujours très encombrante, apparaît et disparaît quand elle le désire et lui pourrit la vie de mille manières, directes et indirectes. Est-ce un être réel ? Est-ce une création de son esprit... ? C'est le récit d'une humiliation quotidienne, absurde, incontrôlable, triste et comique à la fois. Le narrateur est assez désabusé, ne croit pas trop qu'il puisse un jour retrouver une vie normale. Chaque aspect de sa vie est transformé par cette présence non désirée, il est très troublé, très perturbé par ce qui lui arrive et il semble incapable de faire quoi que ce soit de concret pour se débarrasser de cet « intrus » qui paraît faire de son mieux pour n’être rien d’autre qu’une gêne. Ce monstre, ce tas de boue puant, suintant et qui n’a semble-t-il d’autre raison d’exister que d’être un obstacle au bien-être de celui qu’il a choisi de hanter, agit comme un corps étranger introduit dans une existence par trop banale. Le pire étant que malgré ses demandes, personne ne semble avoir envie ou être en mesure d’aider le narrateur. Beaucoup de gens ne s’étonnent d’ailleurs pas de la présence de cet intrus chez lui et le prennent pour « son ami »…

NDN : En lisant L’Intrus, plusieurs références me viennent à l’esprit : La Métamorphose de Kafka, Le Horla de Maupassant, Le K de Buzzati, avec une touche de naïveté à la Queneau… Certains de ces auteurs comptent-t-ils parmi vos livres de chevet ou vos références sont-elles ailleurs ?

JH : Ces références me conviennent parfaitement. Ce sont des auteurs que j’apprécie beaucoup et qui m’ont sans doute appris à prendre goût au fantastique qui s’immisce dans la réalité quotidienne. De Kafka, j’apprécie surtout l’humour. On a trop tendance à en faire un auteur « grave » ; non qu’il ne soit pas sérieux et d’une très grande pénétration, mais on oublie trop souvent qu’il y a des scènes d’un burlesque étonnant dans Le Procès par exemple comme le faisant remarquer son premier et meilleur traducteur français Alexandre Vialatte qui dressait un parallèle avec les films de Charlot que Kafka connaissait bien.

Buzatti est un de mes auteurs de chevet, en effet, et Maupassant m’intéresse pour son style sobre et son efficacité narrative.

Quant à Queneau, il est sans doute au sommet de mon petit panthéon littéraire. La découverte du Chiendent a été un choc pour moi. Parmi ce qui a pu m’influencer dans L’Intrus, je citerai aussi un texte peu connu de lui, sans doute ce qu’il a écrit de plus fou, Saint-Glinglin auquel je fais une petite référence amicale.

Je citerai aussi parmi ce qui a pu m’influencer, la série télévisée danoise « L’hôpital et ses fantômes » de Lars von Trier. Difficile d’en parler en quelques mots, mais c’est un chef-d’œuvre de drôlerie et d’horreur. Mélange qui me plaît beaucoup.

Mais j’espère que ces influences ne sont pas directes car je m’efforce de digérer le mieux possible toutes ces bonnes nourritures et je ne cherche pas consciemment à imiter car l’imitation me fait horreur…

NDN : Il me semble par ailleurs que vous n’hésitez pas à affirmer votre sympathie pour la pataphysique ? L’Intrus est-il un roman « pataphysicien » ?

JH : J’ai lu Ubu Roi quand j’avais 10 ans et depuis Jarry est resté très présent dans ma vie. La Pataphysique est une chose très sérieuse. La définition pataphysique de Dieu est d’ailleurs d’une désarmante rigueur « Dieu est le point tangent de zéro et de l’infini » ! affirmait le Docteur Faustroll. Ce mélange de folie contrôlée et de drôlerie tout en traitant parfois de choses hautement profondes si j’ose dire, a toujours été à la base de mon travail d’écrivain et de plasticien. Faire les choses sérieusement sans se prendre au sérieux, c’est un peu la base pour moi.

NDN : Sous son côté léger et quelque peu potache, j’ai trouvé que L’Intrus était au final un roman très oppressant, angoissant. J’ai eu plusieurs fois l’impression que cette entité détestable, gluante et sombre, qui pourrit la vie de votre héros pouvait également être appréhendée de manière allégorique, comme symbolisant en quelque sorte tout ce qui fait que la vie quotidienne de chaque individu relève forcément d’un combat contre les autres, contre le monde, le destin, mais aussi contre lui-même, contre ses propres peurs et ses propres zones d'ombres. Cette dimension « philosophique » que l’on peut trouver à votre roman est-elle importante pour vous ?

JH : Oui, très importante. Ce n’est pas parce que c’est rigolo qu’il ne faut pas avoir la trouille et ne pas réfléchir. La vie en général est un cirque terrifiant. Ma manière d’accepter les côtés inacceptables de la vie est de raconter des histoires qui sous couvert de potacherie et de loufoquerie traitent de tout ce qui peut angoisser ou révolter l’Homme. J’aime le terme « insolite ». Ce qui est insolite, c'est ce qui est inquiétant et étrange mais drôle. Pourquoi est-ce drôle ? Parce que si ça ne l’était pas ce serait insupportable.

J’ai remarqué que les personnes qui on lu mon roman en font des analyses parfois très différentes. Les lecteurs y voient leurs problèmes, leurs angoisses, ce qui me rassure car je ne voulais pas faire un texte dont l’analyse aurait été trop simple. Il y a plusieurs lectures possibles de cette histoire. On m’a notamment parlé du problème de l’indifférence du monde extérieur pour les soucis du narrateur. Certaines personnes y voient une parabole sur le côté de plus impersonnel des relations humaines. Sur le « chacun sa merde » qui règne souvent en maître dans le monde actuel. J’accepte ce genre d’explication comme je peux accepter d’autres visions qui mettent plus l’accent sur l’angoisse métaphysique ou la satire sociale. J’aime l’idée que l’on peut y voir ce que l’on veut et que cela révèle des choses sur le lecteur.

Le héros de mon roman ne fait pas grand-chose pour être sympathique, mais il ne mérite pas cette indifférence, cette solitude. On peut d'ailleurs penser que cette solitude n'en n'est plus une « grâce » à son intrus. D'où mon idée de lui faire accepter petit à petit la présence du monstre jusqu'à ce que le narrateur ne se sente plus chez lui et laisse la place à l'Intrus... il oublie qu'il est une victime à force de vivre dans l'enfermement psychique voulu par le monstre.

Le monstre est aussi le symbole d'un monde qui laisse les individus seuls face à eux-mêmes. D'un monde où on est très vite oublié. La seule personne qui n'oublie pas le narrateur, c'est le monstre. Toutes ces incompréhensions, toutes les façons dont le narrateur doit faire face à cette intrusion sont pour moi des versions folles et burlesques de vrais problèmes et de vrais drames que l'on peut vivre dans la vie de tous les jours. J'espère avec cette parabole peut faire un petit peu comprendre que beaucoup de rapports entre être humains sont faux.

NDN : En plus d’être auteur, vous êtes aussi illustrateur. Comment ces deux domaines artistiques se combinent-ils chez vous ?

JH : Je n’ai jamais choisi entre l’un et l’autre. J’aime autant écrire que dessiner ou peindre. J’ai l’impression de faire le même travail en racontant des histoires et en dessinant. Quand je peux mêler les deux comme c’est le cas pour L’Intrus, c’est l’idéal.

NDN : Quels sont vos projets pour les temps à venir ?

JH : Continuer à écrire. J’ai terminé un autre roman qui s’inscrit aussi dans le genre fantastique au sens large. Je vais essayer de le publier bien entendu. C’est un texte plus long et plus linéaire, une sorte de satire du monde scientifique qui raconte la vie d’un homme né sans squelette et qui devient la victime des médecins qui l’étudient.

Je suis actuellement en train de travailler à un nouveau texte qui mêlera aussi le réalisme, le naturalisme même, et le fantastique, mais il y a encore beaucoup de travail car j'utiliserai plusieurs niveaux de narration.

Sinon, je cherche des éditeurs et des galeries qui pourraient être intéressées par mes illustrations et mes dessins, comme toujours.

Entretien réalisé par messagerie, août 2010

5 commentaires:

  1. En tout cas, questions et réponses donnent là envie de lire le livre, même si je ne suis pas trop "branché" fantastique.
    Mais la parabole est une figure de style frappante, incisive et qui peut dire plus, en plus condensé, que la narration pure et simple.
    Ce ne sont pas les lecteurs du Zarathoustra qui diront le contraire.
    Entièrement d'accord avec ce qui est dit là de la lecture de Kafka.

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  2. Joaquim avait déjà publié quelques jolis textes dans Le Grognard. Son univers faussement naïf est effectivement plein de charme.

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  3. L'intrus se lit tout seul, enfin presque, il suffit de le tenir devant soi. Le style est agréable, l'histoire dépourvue de détails inutiles.
    Je suggère à Joaquim d'en faire une version audio, enregistrée avec sa propre voix. Vu le personnage, le texte, lu par son auteur, ne peut qu'en prendre une dimension encore supérieure.

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  4. @Liv Marlene Bonne idée la version audio, mais je verrais plus ça avec un vrai comédien... je déteste ma voix ;-)

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  5. Haykuhi Guévorguyan7 septembre 2010 à 17:51

    Je suis une des lecteurs de ce roman et je l'ai aimé car j'aime les livres de ce genre. Au début du roman il te semble que cet intrus n'est que l'imagination de narrateur parce que personne ne repond à son malheur. il te semble que c’est à cause de son solitude qu’il a crée quelqu'un dans son imagination pour ne pas être seul mais qui ne se soumet pas. En lisant la suite on comprend que c'est simpleument l'indifférence du monde.Et alors le lecteur s’étonne comment le monde peut être si indifférent surtout envers une chose si extraordinaire. il me semble que c’est le métrise de l’écrivain car à ce moment le lecteur réfléchit à son alantour, est-ce qu’il est attentif envers les autres. Ce qui est très importent pour le but du roman.
    Peut-être que cette indifférance c'est à cause de cela que que chacun a ses problèmes et ils n'ont pas de temps pour s'intéresser aux problèmes des autres. C'est que le narrateur lui-même ne s'intéresse pas aux problèmes des autres individus qui en ont aussi ils ont chez soi un intrus comme lui. Il ne veut pas les connaitre les aider peut-être mais seulement s'en débarrasser. Peut-être que l'intrus aussi avait besoin de se comprende par quelqu'un.

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