dimanche 5 septembre 2010

LES HEROS DE L'ANARCHIE : LOUISE MICHEL

BILL TEREBENTHINE PRESENTE :

les héros de l’anarchie

5 – Louise Michel

*

Parmi les plus implacables lutteurs qui combattirent l’invasion et défendirent la République comme l’aurore de la liberté, les femmes sont en nombre.

On a voulu faire des femmes une caste, et sous la force qui les écrase à travers les événements, la sélection s’est faite ; on ne nous a pas consultées pour cela, et nous n’avons à consulter personne. Le monde nouveau nous réunira à l’humanité libre dans laquelle chaque être aura sa place.

Le droit des femmes avec Maria Deresme marchait courageusement mais exclusivement pour un seul côté de l’humanité, avec les écoles professionnelles de mesdames Jules Simon, Paulin, Julie Toussaint. L’enseignement des petits de madame Pape Carpentier se rencontrant rue Hautefeuille à la société d’instruction élémentaire avait fraternisé sous l’empire, dans une si large acception que les plus actives faisaient partie de tous les groupements à la fois. Nous avions pour cela, comme complice M. Francolin, de l’instruction élémentaire, qu’à cause de sa ressemblance avec les savants du temps de l’alchimie et aussi par amitié nous appelions le docteur Francolinus.

Il avait fondé, presque à lui seul, une école professionnelle gratuite rue Thévenot.

Les cours y avaient lieu le soir. Celles d’entre nous, qui en faisaient pouvaient ainsi se rendre rue Thévenot après leur classe, nous étions presque toutes institutrices – il y avait Maria La Cecillia, alors jeune fille, la directrice était Maria Andreux, plusieurs autres femmes y faisaient des cours, j’en avais trois ; la littérature, où il était si facile de trouver des citations d’auteurs d’autrefois s’adaptant à l’instant présent. La géographie ancienne, où les noms et les recherches du passé, ramenaient aux recherches et aux noms présents, où il faisait si bon évoquer l’avenir sur les ruines, que je me passionnais pour ces cours.

J’avais encore le jeudi, celui de dessin où la police impériale me fit l’honneur de venir voir un Victor Noir, sur son lit de mort, dessiné à la craie blanche et estompé avec le doigt sur le tableau noir, ce qui fait un relief d’une douceur de rêve.

Quand les événements se multiplièrent, Charles de Sivry prit le cours de littérature, et mademoiselle Potin, ma voisine d’institution et mon amie, prit le cours de dessin.

Toutes les sociétés de femmes ne pensant qu’à l’heure terrible où on était, se rallièrent à la société de secours pour les victimes de la guerre, où les bourgeoises, les femmes de ces membres de la défense nationale qui défendait si peu, furent héroïques.

Je le dis sans esprit de secte, puisque j’étais plus souvent à la patrie en danger et au comité de vigilance qu’au comité de secours pour les victimes de la guerre, l’esprit en fut généreux et large ; les secours furent donnés, émiettés même, afin de soulager un peu toutes les détresses, et aussi afin d’engager encore et toujours à ne jamais se rendre.

Si quelqu’un, devant le comité de secours pour les victimes de la guerre, eût parlé de reddition, il eût été mis à la porte, aussi énergiquement que dans les clubs de Belleville ou de Montmartre. On était les femmes de Paris tout comme dans les faubourgs, comme il me souvient de la société pour l’instruction élémentaire où à droite du bureau dans le petit cabinet j’avais ma place sur la boîte du squelette, j’avais à la société de secours, ma place sur un tabouret, aux pieds de madame Goodchaux, qui ressemblant sous ses cheveux blancs, à une marquise d’autrefois, jetait parfois en souriant, quelque petite goutte d’eau froide sur mes rêves.

Pourquoi étais-je là une privilégiée ? je n’en sais rien, il est vrai, peut-être que les femmes aiment les révoltes. Nous ne valons pas mieux que les hommes mais le pouvoir ne nous a pas encore corrompues.

Et le fait est qu’elles m’aimaient et que je les aimais.

Louise Michel

Illustration : Bill Térébenthine

Chapitre « Les femmes de 70 », in La Commune, 1898

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire